Envoyer Imprimer Société - Article paru
le 3 juin 2010
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Une planète et des hommes

L’UE empoisonne pour remplir ses réservoirs

Le Sénégal va planter 320 000 hectares de jatropha, sous couvert d’indépendance énergétique. Mais les investisseurs européens veulent surtout exporter le carburant « vert » vers l’Union européenne.

D’ici à 2020, chaque pays membre de l’Union européenne a pris l’engagement d’utiliser 20 % d’énergie renouvelable dont la moitié sera constituée d’agrocarburants. Dit autrement, les réservoirs de nos véhicules à essence ou Diesel devront contenir 10 % de carburant d’origine agricole d’ici dix ans.

Mais chaque pays membre de l’Union peut externaliser cette production d’agrocarburants dans des pays tiers. Ainsi, des sociétés italiennes ont choisi d’investir au Sénégal pour produire une huile impropre à la consommation mais capable de faire tourner les moteurs Diesel. Cette huile est tirée du jatropha. Cette plante toxique arrive à pousser sur des sols semi-arides. Du coup, des politiciens africains comme Abdoulaye Wade brandissent des plans de développement économique et d’indépendance énergétique fondés sur la culture du jatropha. Sauf que les résultats économiques sont dérisoires sur les terres faiblement pourvues en pluie. Conséquence logique  : les investisseurs étrangers misent sur les sols fertiles pour cultiver leurs buissons malodorants à la place du mil, du sorgho et du maïs.

Le Sénégal s’engage sur un plan de 320 000 hectares de culture de jatropha. Le Mozambique et d’autres pays ne sont pas en reste. Au Sénégal, les investisseurs italiens, espagnols et belges sont les promoteurs de ce nouvel or vert, toxique dans tous les sens du terme. « Le Sénégal leur loue des terres avec des baux de plusieurs dizaines d’années, contre 40 euros pour la concession d’un hectare », relève Fatou M’Baye, de l’ONG ActionAid.

Pour amadouer les communautés rurales, on leur annonce que seulement 1 000 hectares seront réservés à la culture du jatropha sur les terres qu’ils cultivaient jusqu’à présent. Ainsi, le jatropha n’entrerait pas en concurrence avec les productions vivrières. Mais, même si ce discours était vrai, le jatropha est une plante invasive dont la graine huileuse dispersée au gré des vents repousse là où on ne l’attend pas, qu’il s’agisse des zones pastorales ou de cultures vivrières. Fatou M’Baye – que nous avons récemment rencontrée à Montreuil – note que les investisseurs européens lorgnent surtout sur les zones de bonne pluviométrie, au sud du pays, ainsi que sur les berges du fleuve Sénégal afin de bénéficier de l’irrigation. Là, le jatropha donnera des rendements quatre à cinq fois plus élevés que dans les zones disposant d’une pluviométrie incertaine. Du coup, il apparaît déjà que la concurrence sera frontale avec les cultures vivrières. Plus grave encore, dans ces zones, les investisseurs veulent des superficies de 5 000,10 000, 20 000, voire 50 000 hectares, afin de bénéficier d’économies d’échelle pour rentabiliser les investissements.

« Au Sénégal, la propriété des terres relève du domaine national et les communautés rurales en ont la gestion. Quelques résistances s’organisent, mais les investisseurs brandissent les contrats signés avec le gouvernement pour montrer qu’ils sont dans leurs droits. Ils font état de créations d’emplois et de constructions de voies de communication. Mais on sait déjà qu’il ne s’agira que d’emplois temporaires liés à la mise en route des plantations et aux périodes de récolte », relève Fatou M’Baye.

Nous touchons ici au comble du cynisme, s’agissant de la politique « agro-écologique » de l’Union européenne. Dans nos villes et nos villages, les véhicules émettront un peu moins de CO2 qu’avant pour parcourir une même distance. Mais on obtiendra ce résultat en allant soustraire aux paysans africains des milliers d’hectares de terres jusque-là consacrées aux cultures vivrières et aux parcours pastoraux. L’Europe colonise les terres agricoles du Sénégal après avoir pillé le poisson de ses eaux territoriales avec ses bateaux-usines. Leurs propriétaires aussi ont signé des contrats  !

Gérard Le Puill

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