Il Manifesto

Euthanasie d’un journal nourri d’indépendance

L’article 44 de la loi 133 (décret Tremonti) du 6 août 2008 a décrété la disparition de plus de 20 titres de presse coopératifs et non-profit. Il s’agit de journaux – « il manifesto » est parmi eux – dont la propriété est dans les mains des gens qui y travaillent.

L’article 44 de la loi 133 (décret Tremonti) du 6 août 2008 a décrété la disparition de plus de 20 titres de presse coopératifs et non-profit. Il s’agit de journaux – « il manifesto » est parmi eux – dont la propriété est dans les mains des gens qui y travaillent. Il s’agit des seuls « éditeurs purs », dans un pays où quiconque finance un journal ne le fait qu’avec des buts politiques, pour peser sur les choix du gouvernement, au niveau national ou local, pour défendre ses propres intérêts.

Avec le décret Tremonti, les financements versés depuis vingt ans aux journaux coopératifs et non-profit sur la base de critères bien fixés (même si très compliqués) ont perdu leur statut de droit certain et exigible : dorénavant, le montant sera décidé dans la loi des finances, chaque année.

Bref, si l’argent dévolu dans la loi de finances ne suffira pas, le montant, quoi qu’il soit, sera partagé par tous les ayant-droit. Le résultat : les financements n’étant plus certains, il sera impossible de négocier un prêt avec les banques, et les inscrire au bilan annuel. En plus, le décret a valeur rétroactif. Il s’applique aux financements du bilan 2009, qui couvre l’année 2008, c’est-à-dire l’année en cour, une année qui est presque derrière nous.

Cette désastreuse innovation avait déjà été tentée par le gouvernement de centre-droit à l’automne 2005, dans la Loi des Finances de 2006. Le centre-gauche avait répliqué avec le décret Bersani sur les libéralisations de l’été 2006. Dans les deux cas, le gouvernement avait été battu par le parlement, grâce à une union droite-gauche. Dans la discussion sur le décret Tremonti, plusieurs amendements ont été présentés par toutes les forces politiques, mais le gouvernement les a réduites au silence grâce à une nouvelle procédure : la Loi des finances a été compressée dans un décret estival et approuvée à coup de « votes de confiance » (où est engagée la responsabilité du gouvernement). La majorité n’a pas de problème pour passer.

Le décret Tremonti ne se limite pas à effacer le droit aux financements pour l’édition coopérative, mais au même temps coupe le budget de 83 millions d’euros. Le montant d’origine était de 387 millions, mais il faut soustraire de ce chiffre 305 millions de financements postaux (auxquels il faut ajouter 44 million de vieilles dettes de la présidence du conseil à la Poste italienne). Cela signifie que les financements pour les coopératives sont réduits à zéro (les contributions aux envois postaux vont principalement dans les caisses des grands groupes de presse, Mondadori en tête, le groupe contrôlé par Berlusconi encaissant 20 millions d’euro de l’état par an, Il Sole 24 ore, le journal de la Confindustria, le Medef italien, 13 million).

En plus, toujours dans l’article 44, la faculté de définir les nouveaux critères d’attribution à été confiée à la présidence du conseil et soustraite à la surveillance du parlement.

Bref, dorénavant ce sera le gouvernement à décider dans la Loi des Finances, chaque année, le montant du financement de l’édition non-profit (et au même temps celle des partis politiques) : il a la faculté de décider combien donner, et à qui, en toute liberté.

Le décret Tremonti détruit le pluralisme : une vingtaine de titres de presse sont en danger dans un pays qui souffre déjà d’un oligopole télé, caractérisé par la domination d’une entreprise contrôlée par le président du conseil et par une concentration progressive de la presse écrite. Avec cette loi on va assujettir les journaux non-profit qui arriveraient à lui survivre.

Le silence des intellectuels est frappant sur une question si cruciale pour la démocratie italienne. Le silence des grands journaux est frappant face à un choix qui va laminer le pluralisme de l’information. Particulièrement frappant est le silence des groupes éditoriaux cotés en Bourse. C’est un hasard s’il y a parmi eux les principaux percepteurs des financements publiques (Mondadori, Il Sole 24 ore, Rizzoli), lesquels dans les dernières 5 années ont transféré aux actionnaires une partie conséquente des aides d’état ?

Personne ne veut voir que le principal percepteur des aides d’état, via le fonds pour l’édition de la présidence du conseil, est Mondadori (société contrôlée par Berlusconi). Et qui est-ce qui ramasse à la pelle les ressources publicitaires, en le soustrayant à la presse écrite, si n’est la Fininvest (société, elle aussi, de Berlusconi) ? On le répète une fois de plus, pour que personne ne puisse l’ignorer.

« Il manifesto » est dans les kiosques depuis 37 ans. Il représente une voix historique de l’édition italienne. C’est une voix de gauche, critique et originale, peut-être aujourd’hui plus nécessaire que jamais. La propriété est dans les mains des journalistes et des ouvriers du livre, qui le produisent chaque jour. Les salaires sont bas. La société « il manifesto » ne fait que de l’édition, et rien d’autre.

Il manifesto paye son indépendance avec une forte discrimination sur le marché de la publicité, qui n’arrive même pas à couvrir 13% de son chiffre d’affaires, malgré l’ascendant reconnu sur ses lecteurs. Les lecteurs aussi en sont propriétaires, grâce aux aides récurrentes pendant les dernières années, qui nous ont permis de survivre à mille crises.

On croit, avec modestie, être une ressource du pluralisme. Pour toutes ces raisons, on va se battre jusqu’au bout pour la réintégration des aides à la presse. Et ça malgré Beppe Grillo, le comique si populaire qui s’attaque à ces aides comme symbole du gaspillage d’état e qui, en fait, roule pour le décret Tremonti. Son combat ne sert pas la moralisation, mais aboutira à effacer des voix, offrant en cadeau au marché le droit constitutionnel des citoyens à une information libre. Laissant sur le champ seulement les éditeurs les plus puissants, qui ont derrière eux des groupes économiques dominants. FIN

Giancarlo Aresta
Traduction : Ana-maria Merlo

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