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Le Japonais Jirô Taniguchi est l’un des maîtres du manga “de qualité”, l’équivalent
d’un Miyazaki dans le domaine de la BD. L’auteur de Quartier Lointain nous reçoit
dans son microatelier de la banlieue tokyoïte, qui tient autant du monastère que la
caverne d’Ali Baba.


Dans Les Quartiers de Jirô Taniguchi

   Samedi 9 avril 2005 : pour la première fois depuis longtemps, Jirô Taniguchi et ses
quatre assistants sont en retard pour démarrer leur journée de travail. La veille,
comme des millions de Japonais, ils ont fêté jusque tard l’apparition des cerisiers en
fleur. Seule une fête comme Sakura peut troubler les habitudes de travail des
Japonais : la célébration ancestrale de la communion de l’homme avec la nature est
devenue, au fil des décennies, une occasion de boire plus que de raison.

    A 57 ans, Jirô Taniguchi est considéré en Europe – particulièrement en
France et en Italie – comme un maître du manga de qualité (voire d’auteur), très loin
des clichés que le genre peut encore véhiculer chez nous. Imposé en France par le
dessinateur et traducteur Frédéric Boilet, Jirô Taniguchi est ainsi devenu, en
quelques anneés, l’équivalent en bande dessinée de Miyazaki. Son lectorat, fidèle,
suit chacune de ses creations, qu’elle soit intimiste (Le Journal de mon père),
onirique (L’Homme qui marche) ou historique (Au temps de Botchan).

    Ce matin, quand il rejoint son atelier installé dans le quartier Kunagawa,
une paisible banlieue de Tokyo, Jirô Taniguchi a l’esprit trouble. Mais, au contact
des planches de dessin, son regard fatigué par la nuit retrouve rapidement sa
flamme. Depuis plusieurs mois, il est plongé dans un univers encore inédit pour son
lectorat occidental, le western, qu’il publie en série dans le magazine japonais
Manga Action. Vêtu d’un simple sweat-shirt noir, le maître se fond dans le désordre
de son minuscule atelier : un banal appartment de deux (petites) pieces, où s’
entassent feuilles volantes, photographies de repèrages, instruments de dessin
(crayons, encres et fusains), bandes dessinées européennes (Blueberry,
L'Autoroute du soleil…), manga d’un autre temps, lits de fortune et vieux vinyles
écornés de jazz ou de musique traditionelle japonaise. La modestie du maître des
lieux le pousse à s’excuser : “Cet atelier… C’est la preuve que je ne suis pas un
grand mangaka!”, avoue-t-il en riant. Contrairement à d’autre mangaka, Jirô
Taniguchi ne vit pas dans le luxe. Il n’ouvre d’ailleurs que très rarement les portes de
son atelier aux étrangers, de peur de donner une mauvaise image de son travail.
Pourtant, c’est dans ce cadre suranné que se sont écrites les plus belles pages de
ses albums notamment le poignant Quartier Lointain, où le dessinateur retourne sur
les pas de son enfance dans le Japon provincial de Kurayoshi.

    Tout, ici, est entièrement consacré à l’art graphique. Le regard braqué sur
les dessins, taniguchi et ses assistants passent près de ving jours par mois, et dix
-sept heures par jour, à produire environ cinquante planches. Ce rythme peut paraître
effréné pour un dessinateur occidental. Pourtant, taniguchi est l’exception dans l’
univers du manga et de sa productivité délirante : “Tous les dessinateurs qui sont
publiés dans les grands magazines japonais assurent près de 1300 pages par an.
Moi, je n’en fait pas la moitié!” Comme nombre d’artistes japonais, Taniguchi fait
preuve de beaucoup d’humilité par rapport à son travail. En se levant pour servir un
verre, il renverse un paquet de croquis des sa bande dessinée en cours, Setan [sic], ce western directement inspire de l’univers du Blueberry de Moebius. Pour lui, cette
série publiée chaque mois ne diffère en rien de ses precedents oeuvres : “Même si
mes histoires familiales paraissent terriblement banales à certains lecteurs
japonais, même si elles ne se vendent pas très bien, mon éditeur me laisse
continuer. En fait, je n’ai jamais eu l’impression d’être force de dessiner un manga.
Bien sûr, quand j’étais jeune, j’ai dessiné un peu tous les genres et même des
mangas érotiques; il fallait bien manger! Mais je n’ai jamais eu de sentiments
négatifs en dessinant : rien que le fait de prendre mon crayon me rend heureux…

    Comme tout managaka, Taniguchi créé ses oeuvres en groupe ; il dispose
d’assistants qu’il considère comme une seconde famille et qui vont suivre ses
indications, afin de rendre en temps et en heure les planches commandées par les
diverses maisons d’édition. Un silence digne d’une cathédrale règne dans l’atelier de
trente mètres carrés; seul le bruit lointain d’un scooter qui peine à démarrer trouble
le silence de la pièce. De temps en temps, le maître met un CD de vieux rock
anglais, mais toujours avec l’accord de son équipe. De sa voix douce et timide, il
donne des précisions, pointant de ses longs doigts les trames qu’il faut appliquer, les
expressions des visages qu’il désire retravailler, le découpage des cases qu’il juge
perfectible. Son travail de mangaka se situe en amont. Assis devant sa planche de
dessin, il passe de longues minutes à méditer avant de jeter ses idées sur le papier.
Ce maître incontesté du dessin élégant aime construire ses effets. "Je veux faire
passer des messages dans chaque histoire que j’élabore. C’est pour ça que je
passe beaucoup de temps sur les personnages, le découpage du récit, afin de
pouvoir être le plus clair possible avec mes lecteurs." C’est cette “musique interne
qu’il passe à chacun de ses assistants, pour que ses intentions narratives soient
parfaitement véhiculées : un retour au bonheur simple, un respect de la tradition et
de la cellule familiale et une certaine idée d’un Japon contemporain plus humaniste.
  
   A
u detour d’une pause, le visage inondé par le soleil qui perce par l’une
des persiennes, Jirô Taniguchi confie:
"Mon rêve a toujours été de pouvoir dessiner une bande dessinée en couleur, de faire
que le dessin prime sur l’histoire. Je veux utiliser un autre langage, d’autres codes
que ceux du manga. Pouvoir penser en couleur, choisir les nuances de chaque
peau…"
Ce rêve, Taniguchi s’apprête enfin à le réaliser, puisqu’il prépare sa première bande
dessinée en couleur pour un éditeur franco-belge. Et comme cette bande dessinée
se déroulera en France, il nous questionne sur notre pays: la vie est-elle moins
chère, plus humaine qu’a Tokyo? La nature y est-elle mieux respectée? Y accueille
-t-on convenablement les étrangers? Les créateurs vivent-ils de leur art? Celui qui a
si bien dessiné le Japon provincial et qui a ouvert grand les portes de l’art du manga
au public européen se plait à rêver d’un future occidental. Alors qu’il s’installe de
nouveau à sa table de travail, il glisse d’une voix malicieuse : “Vous croyez que je
pourrais venir vivre en France?”   

Propos recueillis par Hervé Martin Delpierre et Jérôme Schmidt
Photos: Hervé Martin Delpierre

Article publié dans le magazine Epok: le magazine de la FNAC N.59 de Juillet 2005.
   

Un grand merci à ange666 & RH pour les scans ^^










Jirô Taniguchi apporte les derniers détails à un visage, sur une planche que vient de lui apporter un assistant.
Taniguchi à son bureau, perdu dans une petite pièce désordonnée.
Pour créé l’univers de western de son dernier manga, qu’il realize pour le magazine Manga Action, Taniguchi s’inspire de photographies.
Mais aussi de la BD culte Blueberry, de Moebius.
Une planche est posée sur le bureau d’un assistant.



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