Die Tageszeitung

Vert et Noir : deux couleurs qui ne vont pas bien ensemble

Les élections régionales de Hambourg n’ont pas permis de dégager une majorité traditionnelle soit de droite, soit de gauche.


En Allemagne, on a l’habitude de désigner les coalitions des partis par leurs couleurs : noir=CDU, jaune= FDP, rouge=SPD mais aussi die Linke, vert=Verts. La coalition SPD-Verts au pouvoir avec Schröder était »rouge-verte ; une coalition de droite CDU-FDP se nomme « noire-jaune ». L’alliance CDU-SPD est quant à elle la « grande coalition ».

Pour la première fois, il est possible que les Chrétiens-démocrates de la CDU et les Verts forment une coalition « noire-verte » pour gouverner le Land de Hambourg. Ci-dessous le point de vue de Christian Semler dans taz, le 3 mars 2008..

Vert et Noir : deux couleurs qui ne vont pas bien ensemble

La perspective d’une coalition « noire-verte » enflamme l’imagination d’un public fatigué de revoir toujours la même configuration des partis. Mais cette nouvelle alliance qui surgit dans l’actualité est-elle une idée aussi réaliste que veulent nous le faire croire ses partisans ? Est-il exact que les recoupements de programmes sont au moins aussi nombreux avec la CDU que dans le projet « rouge-vert » ?

Bien entendu, les partisans d’une coalition « noire-verte » font référence à la menace de blocage qui résulte d’un système politique comportant désormais cinq partis. On évoque un paysage politique totalement inédit où ne fonctionne plus l’ancienne répartition des rôles. En outre, on prétend que ce changement de rôles trouve également sa raison dans l’évolution de la société : entre les couches sociales qui votent pour les Verts et la partie de l’électorat CDU ouverte à des conception libérales et tolérantes, il y aurait beaucoup de points de convergence. D’après Claude Leggewie, on peut à peine distinguer sur le plan idéologique une nouvelle génération de verts « modernisateurs » qui se veut « citoyenne » de la « base urbaine » de la CDU/CSU.

Dans cette argumentation on retrouve deux notions centrales : celles de citoyenneté et d’urbanité. Elles renvoient à l’idéal du citoyen ouvert au monde et tolérant qui s’engage au service de la collectivité. Le bien commun est le point de référence du travail de la société civile où se retrouvent pêle-mêle groupes et initiatives. Pour actualiser cette interprétation, on peut dire que la « civil society » ouvre un espace politique qui vient se caler entre les grandes organisations de la société et l’Etat d’une part et les individus privés d’autre part . La grande ville, avec les possibilités qu’elle offre d’ouverture culturelle, constitue le terreau nécessaire à cet espace.

Il existe certainement dans les grandes villes des partisans de la CDU conscients de leur rôle de citoyens au sens défini précédemment qui sont partie prenante de la « civil society ». Mais l’actuelle discussion dissimule le fait qu’à côté du citoyen dévoué au bien public, il existe aussi le citoyen qui n’est motivé que par la réalisation du profit maximum. Ce dernier continue de s’appeler un bourgeois et son mode d’association la bourgeoisie. Bêtement, le bourgeois et le citoyen se retrouvent parfois dans une seule et même personne. Durant la journée, on fait monter vigoureusement le cours des actions et on répond aux besoins des shareholders en jetant des salariés à la rue, ce qui n’empêche pas le reste du temps d’apparaître comme un bon vivant qui, en plus, se soucie des besoins de ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts. Un peu comme Maître Puntila, ce personnage aux deux visages de la pièce de Brecht.

Des goûts communs en matière d’esthétique ou de cuisine engendrent-ils déjà quelque chose comme un comportement commun entre les partisans des Verts et des Chrétiens-démocrates habitant les grandes villes ? On peut en douter en s’appuyant sur des bases empiriques solides de la recherche sociale qui peuvent montrer comment se constituent, transcendant les différences de milieu, les camps politiques. Ces camps sont remarquablement constants malgré les objections de l’historien Paul Nolte qui se dit « sceptique quant à l’existence même de ce qu’on appelle la gauche ». Pourtant, les sondages nous apprennent que ce camp de gauche existe, qu’il s’agisse du potentiel électoral (au total 51 %) ou des préférences politiques.

Ces préférences politiques tracent une ligne de séparation très nette entre « Rouge-Vert » et « Noir-Jaune ». Selon les sondages, la politique environnementale et la justice sociale sont déterminants pour le camp rouge-vert, la politique économique et de l’emploi pour le camp noir-jaune. Pour les rouges-verts, c’est la solidarité qui est la valeur la plus importante, pour les noirs-jaunes, c’est la performance. Et pour ce qui est des sujets « urbains » justement, comme la politique sécuritaire, la compatibilité famille-travail pour les femmes, l’intégration des minorités, la religion et l’église sans oublier le passé de l’Allemagne, pour toutes ces questions, on retrouve le même clivage entre les deux camps. Ceci réfute la thèse de la dissolution des camps. Comment pourrait-on expliquer autrement qu’après la fin de la « réforme » schröderienne, les Verts aient adopté sans aucune résistance un cours de gauche ?

Doucement, doucement vont dire ceux qui méprisent les sondages d’opinion. Finalement, diront-ils, la position sociale de la clientèle électorale des Verts, celle d’une couche sociale relativement sécurisée au centre de la société, fait qu’elle abandonne ses orientations en faveur du bien de tous. A cela on peut opposer que certes, c’est l’être qui détermine (en dernière instance) la conscience. Mais qui nous dit que la classe moyenne qui vote vert n’est pas rongée, elle aussi, par la peur du déclin ? Que l’horizon de valeurs universelles ne serait pas aussi facile à renverser du fait qu’il est constituant de l’ « identité » verte ? Il serait pour cette raison prématuré de la part de la gauche de montrer du doigt les Verts en se moquant d’eux selon le mot d’ordre « il ne faut pas arrêter le voyageur en chemin ». Car on a encore besoin des Verts pour une alliance de gauche alternative – et les Verts se tiendront à disposition d’une telle alternative.

Au vu de l’état des choses empirique concernant les orientations de chaque camp, plus d’un partisan des Verts s’écriera avec le philosophe Hegel : « Tant pis pour les faits ». Car, vous dira-t-on, il faut surmonter les clivages de pensée, s’il est possible dans une coalition avec la CDU de faire passer au moins quelques points du programme ou encore, au minimum, d’empêcher le pire, le pire étant alors la grande coalition CDU-SPD. C’est ça la politique, alors que de rester dans une mentalité de gauche ne conduit qu’à un ersatz de politique.

Evoquant la situation à Hambourg, la verte Krista Sager a déclaré : « Si nous rentrons chez nous et attendons la grande coalition, nos électeurs vous nous dire : vous êtes cinglés, vous êtes trop cons pour faire de la politique ». C’est certainement là la réaction d’une partie de l’élite dirigeante des Verts et cette réaction se nourrit peut-être de l’expérience passée des dirigeants des Verts trop souvent tancés par leur encombrant allié de la SPD. Mais les électeurs verts vont-ils vraiment réagir comme le pronostique Krista Sager ?

Chaque militant vert va certainement s’interroger sur la compatibilité entre ses convictions politiques et l’éventuelle utilité d’une participation à un gouvernement noir-vert. Une telle coalition peut-elle faire avancer les projets verts, offre-t-elle un élargissement des possibilités d’action ? Ou bien les Verts ne seront-ils qu’une force d’appoint pour un gouvernement de droite fondamentalement réactionnaire ? C’est de cela dont la prochaine assemblée générale des Verts de Hambourg devra décider lorsque les propositions de la CDU seront sur la table. Mais peut-il vraiment y avoir des doutes sur le fait que ces propositions ne seront pas compatibles avec le programme des Verts ?

Christian SEMLER

Christian Semler, 69 ans, est à la taz depuis 1969 et fut proche des Verts depuis leur fondation – jusqu’au fatal engagement militaire de l’Allemagne au Kosovo. Il a abondamment commenté, de manière de plus en plus critique, le programme et la politique des Verts.

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