Allaiter Aujourd'hui n°53

Travail et allaitement : en garde


Pour réussir à concilier travail et allaitement, il est important de s’assurer de la collaboration (ou au moins de la neutralité bienveillante) des personnes qui vont garder l’enfant.

La discussion sera sûrement facilitée s’il s’agit d’un membre de la famille (grand-mère, père…), ou d’une personne engagée pour garder l’enfant à domicile. Les choses peuvent être plus délicates si l’enfant est gardé à l’extérieur, que ce soit chez une assistante maternelle ou à la crèche.

Mais quelle que soit la ou les personnes qui vont garder l’enfant, il est important de les informer le mieux possible (en leur passant de la documentation, en leur faisant lire des témoignages, en les convient à une réunion…) sur la façon de gérer le lait maternel, sur les rythmes de l’enfant allaité, sur le fait qu’on peut utiliser d’autres ustensiles que le biberon (gobelet, cuiller…), etc., afin de les rassurer. Car c’est souvent la peur qui crée des problèmes, surtout si - comme c’est souvent le cas - la personne n’a encore jamais gardé de bébé toujours allaité.

 

En nourrice

Vos témoignages le montrent bien : une « nounou » coopérative peut être d’une aide inestimable. D’où l’intérêt, quand c’est possible, de bien la choisir, de tester sa capacité à s’adapter à vos demandes et à répondre aux besoins de l’enfant. Et cela ne concerne pas seulement la façon de gérer les biberons de lait maternel ! J’ai connu une mère dont le métier était « chasseur de têtes » et qui avait élaboré un questionnaire très détaillé afin de « recruter » la nounou répondant à ses souhaits (ne pas laisser pleurer l’enfant tout seul dans son coin, le bercer, le porter, etc.)

Plus que le fait de donner des biberons de lait maternel, les assistantes maternelles ont parfois du mal à accepter que la mère donne à téter chez elles (avant de partir, en revenant le soir, voire en cours de journée), car elles le ressentent comme une intrusion dans leur intimité. Là aussi, il est important d’en discuter, de proposer un essai, de donner une date limite… et de penser à remercier quand tout se passe bien.

 

En crèche

Quand l’enfant est en crèche collective ou familiale, on se heurte là à une structure qui parfois « fait de la résistance. » Beaucoup de mères par exemple se sont vu refuser de donner leur lait pour des raisons sanitaires tout à fait fallacieuses. C’est ainsi par exemple qu’à Lyon, un médecin responsable des crèches a décrété que le lait maternel devait être considéré comme un produit biologique, et par conséquent interdit en crèche à moins d’être « décontaminé » au lactarium ; la mère devant ensuite racheter son lait, car le traitement coûte cher ! A d’autres endroits, on s’abrite derrière un arrêté fixant les « conditions d’hygiène applicables dans les établissements de restauration collective à caractère social » pour refuser le lait maternel, car celui-ci étant tiré à domicile et non acheté en grande surface, il est impossible de garantir la chaîne du froid ! D’autres encore invoquent le règlement sanitaire de la crèche stipulant qu’aucun aliment extérieur ne peut être stocké dans l’établissement…

Heureusement, il est d’autres endroits où les mamans allaitantes et leur lait sont les bienvenus (1).

C’est ainsi que dans le règlement intérieur des crèches collectives municipales de Lille, on peut lire à l’article 6.3 sur l’alimentation : « Les mamans qui désirent maintenir l’allaitement maternel sont autorisées à venir allaiter leur enfant dans les locaux de la crèche. »

Début 2002 est sortie une circulaire médicale pour les crèches collectives et familiales de Paris qui déclare : « L’allaitement maternel d’un nourrisson en crèche est possible quand la mère le désire », et en détaille les modalités (procédures d’hygiène à appliquer aux biberons de lait maternel apportés par les parents, conseils aux parents, lait réfrigéré ou congelé, étiquetage, etc.) De même, en Seine Saint-Denis, le médecin référent du service des crèches a transmis à la direction du service des crèches une note proposant plusieurs pistes de réflexion : « possibilité pour une mère travaillant à proximité de la crèche de venir allaiter son enfant dans la crèche ; (…) possibilité pour une mère d’utiliser un tire-lait, l’enfant étant nourri au sein à la maison et avec le lait maternel à la crèche. »

 

Une directrice de crèche témoigne

Je m’appelle Evelyne Evin, je suis infirmière puéricultrice, ancienne animatrice LLL dans les Yvelines, et depuis six ans directrice d'une mini crèche.

Chaque année, des femmes continuent l'allaitement après la reprise du travail, de manière très différente à chaque fois : allaitement matin et soir, biberons de lait de mère dans la journée, allaitement à la demande dès le retour avec la maman et le week-end.
Avant l'arrivée en crèche de l'enfant, je reçois les parents, l'enfant si c'est un premier placement à 2-3 mois. C'est à ce moment que je demande si l'enfant est allaité. J'indique que notre équipe est favorable, formée pour accompagner la famille dans la possibilité de continuer l'allaitement, que nous avons des outils professionnels pour les accompagner dans ce qu'ils souhaitent .
Le travail au niveau de l'équipe s'est fait progressivement. J'ai « essayé » de travailler en douceur sans heurter les convictions de quiconque. Il m’est toujours très difficile de parler d'allaitement sans être perçue comme fanatique. Pour moi, il est indispensable de faire « avec » l'équipe et pas « contre », de ne pas abuser de mon pouvoir. Je suis convaincue que chaque professionnel a de bonnes idées à exprimer, il faut surtout écouter les sentiments de chacun(e) (pour cela la formation Gordon que j'ai suivie il y a vingt ans m'aide beaucoup), savoir montrer avec assurance tous les avantages pour l'enfant et les parents, savoir également pointer les avantages pour l'équipe.
Certaines mères allaitent sur place, dans la journée ou avant de partir. Toutes les situations sont possibles à partir du moment où tout le monde s'y retrouve. Plusieurs mères apportent du lait maternel dans des biberons stérilisés par leurs soins, nous les conservons au réfrigérateur et les donnons à l'enfant à la demande. Nous n'avons pas suffisamment travaillé sur l'allaitement à la tasse pour le moment.
Je crois savoir que les crèches de la mairie de Paris ont des contrôles sanitaires plus stricts que nous, mais je suis convaincue qu'à chaque problème il existe une solution.
En conclusion, je dirai que je dois être motivée, précise dans mes propositions, savoir écouter chaque parent et chaque membre de l'équipe.
Les parents ayant déjà eu beaucoup de difficultés pour avoir une place en crèche semblent plus stressés à la reprise de leur travail et ont malheureusement souvent choisi d'arrêter l'allaitement malgré nos efforts.


 

(1) L’association Mon Allaitement Maternel à Moi (MAMAM), qui s’occupe activement de la question de la garde des enfants allaités, a commencé à recenser sur son site (mamam.free.fr) les crèches favorables à l’allaitement. Elle a également rencontré à ce sujet Edwige Antier, dont on connaît les positions très favorables à l’allaitement et qui est aussi première adjointe au maire de Paris VIII°, et membre de la Commission petite enfance du Conseil de Paris.


www.lllfrance.org


Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.

Publié dans Allaiter Aujourd'hui n° 53, LLL France 2002

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