>> Balzac au jour le jour > Biographie générale: une vie à l'oeuvre

Une vie à l’œuvre


 

             Il suffit de cliquer sur les illustrations pour les agrandir et pouvoir en lire la légende.

  • Enfance et adolescence tourangelles

    biobalzac001Le 20 mai 1799, à Tours, naît Honoré de Balzac. Son père, Bernard-François Balssa (ayant transformé son patronyme en Balzac) né en 1746 à la ferme de La Nougayrié dans le Tarn, était fils de laboureurs. Après être monté à Paris et avoir rempli diverses fonctions dans l'administration royale, biobalzac002il avait sous la Révolution adhéré aux idées nouvelles et fini par être nommé directeur des vivres de la 22ème division militaire à Tours.Sa jeune mère, Anne-Charlotte-Laure Sallambier, née en 1778, était issue d'une famille de petits bourgeois parisiens faisant commerce de draperie et autres articles de mercerie. Balzac en garda le souvenir en faisant de M. Guillaume, dans La Maison du Chat-qui-pelote, un maître drapier de la rue Saint-Denis et de la cousine Bette, l'héroïne de l'un de ses derniers romans, une ouvrière en passementerie.

    biobalzac003L'enfant fut mis en nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire comme sa soeur Laure née le 20 septembre 1800 avec qui il noua des relations de confidence et de complicité qui ne se démentirent pas au fil des ans. Il y resta à peu près quatre années, ne regagnant le domicile de ses parents qu'au début de 1803. Devenu adulte, Balzac a interprété cet éloignement de manière sévère, prétendant n'avoir été que "l'enfant du devoir" et avoir été mal aimé voire haï par sa mère (Lettre à Mme Hanska du 17 octobre 1842). De ce fait, les mauvaises mères abondent dès les romans de jeunesse puis dans La Comédie humaine.

                 Le 18 avril 1802, était née une deuxième fille, Laurence-Sophie, et son acte de baptême avait été l'occasion de l'adjonction de la particule au nom familial. En même temps le père continuait à faire carrière en devenant en 1803 administrateur de l'Hospice général de Tours et adjoint au maire. Mme Balzac tenait salon, entretenant sans doute une liaison avec un noble réfugié espagnol, le comte Ferdinand Heredia. Curieuse coïncidence, Balzac, dans sa nouvelle intitulée La Grande Bretèche a fait emmurer vivant l'amant de Mme de Merret nommé Féredia ... Parmi les hôtes empressés de la jeune femme, il faut aussi mentionner Jean de Margonne, ne serait-ce que parce que le dernier enfant né au foyer des Balzac, Henri-François (21 décembre 1807), était en réalité son fils naturel.

                 De 1804 à 1807, Honoré fut placé comme élève externe à la pension Le Guay à Tours tandis que ses soeurs fréquentaient la pension Vauquer dont on retrouve le nom dans Le Père Goriot. Il fut ensuite, à partir de juin 1807 jusqu'en classe de quatrième, pensionnaire au collège de Vendôme dirigé par des oratoriens sécularisés. Il prétendit pendant ces années passées à Vendôme n'avoir reçu que deux visites de sa mère et avoir comblé cette solitude par une débauche de lectures. biobalzac004Le début de Louis Lambert est tissu de nombreux éléments autobiographiques empruntés à cette période. Renvoyé pour des raisons que l'on ne connaît pas exactement, le jeune garçon réintégra sa famille en avril 1813. Il la quitta quelques mois plus tard, abandonnant par la même occasion une Touraine dont les paysages restèrent chers à son cœur (voir La Grenadière, Le Lys dans la vallée ) pour devenir pensionnaire de l'établissement dirigé par Ganser, à Paris, dans le quartier du Marais (l'actuel musée Picasso). En février ou mars 1814, sa mère craignant les troubles liés à la situation politique, le ramena à Tours. Nous savons qu'élève en classe de troisième au collège de Tours, Honoré y remporta un prix de version latine.

  • L'étudiant en droit

                 Cependant, dès novembre 1814, la famille regagna la capitale où, grâce à un ami, Auguste Doumerc, Bernard-François Balzac avait été nommé directeur des vivres. Après un court séjour à la pension Lepître puis de nouveau chez Ganser, Balzac suivit les cours de la classe de rhétorique au lycée Charlemagne.

    biobalzac005 En novembre 1816, il s'inscrivit à la faculté de droit tout en commençant à travailler comme clerc d'avoué chez Me Guillonnet-Merville. Vers avril 1818, nous le retrouvons clerc de notaire chez Me Passez, un ami de la famille. Cette expérience professionnelle lui fit découvrir l'envers de la société parisienne et les secrets de famille parfois inavouables dont bien des romans de La Comédie humaine se sont faits l'écho. Le 4 janvier 1819, il obtint son baccalauréat en droit.

  • L'apprenti écrivain

    biobalzac006Déjà, pendant cette période, le jeune étudiant avait rassemblé des notes de lecture en vue de la rédaction d'un Discours sur l'immortalité de l'âme. C'est qu'il n'avait guère qu'une idée en tête : devenir écrivain et non succéder à Me Passez comme l'espéraient ses parents. Son père accepta, lui laissant deux ans pour faire ses preuves. Une mansarde fut donc louée 9 rue Lesdiguières (on en trouve la description dans La Peau de chagrin et dans Facino Cane) biobalzac007tandis que, depuis la mise à la retraite de Bernard-François, le 31 mars 1819, la famille Balzac, devant se contenter désormais d'une modeste pension, s'était installée à Villeparisis, en Seine et Marne. Délaissant ses méditations philosophiques, l'apprenti écrivain crut s'engager dans la voie du succès en exploitant un genre plus rentable : le théâtre. Il entreprit donc de brocher une tragédie qui s'intitulerait Cromwell.

                 Pendant ce temps, Laure avait fait la conquête d'un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées nommé Eugène Surville. Le mariage eut lieu en mai 1820. Ce fut justement un ancien professeur de Surville qui fut sollicité pour juger la pièce écrite par Honoré. Il lui conseilla d'employer son temps à autre chose “qu'à composer des tragédies ou des comédies” (lettre du 16 août 1820)...

    biobalzac008             Balzac, qui venait de découvrir Walter Scott, décida alors de se lancer dans le genre romanesque. Le témoignage que l'on conserve de cette activité se réduit à quelques pages de deux ouvrages ébauchés, Agathise et Falthurne, et d'un roman épistolaire à la manière de La Nouvelle Héloïse de Rousseau presque entièrement rédigé. Mais, en 1821, le jeune homme, ayant fait la connaissance d'Étienne Arago et d'Auguste Lepoitevin, s'entendit avec eux pour la publication en collaboration de romans in-12 pour cabinets de lecture. Ainsi virent le jour de janvier à juillet 1822, L'Héritière de Birague, Jean-Louis, Clotilde de Lusignan ou le beau Juif. Balzac n'était pas encore Balzac mais lord R'Hoone.

  • Premier amour et premières dettes

    biobalzac009biobalzac010 Un événement capital dans sa vie était aussi survenu : à Villeparisis il avait fait la connaissance de Mme de Berny (née en 1777), de vingt-deux ans son aînée et mère d'une nombreuse famille. Une correspondance s'était engagée (la première lettre conservée date de mars 1822). Ce fut le début d'une liaison qui dura plusieurs années. Mme de Berny fut non seulement une amante passionnée mais, en femme intelligente, elle prodigua à Honoré les conseils et encouragements qu'il ne trouvait guère au sein de sa famille.

    biobalzac011 En novembre 1822, sous un nouveau pseudonyme, celui d'Horace de Saint-Aubin, virent le jour deux nouveaux romans : Le Centenaire et Le Vicaire des Ardennes qui fut presque immédiatement saisi pour outrage aux moeurs et à la religion (il abordait, entre autres, la question du célibat des prêtres). De 1823 à 1825 furent publiés La Dernière Fée, Annette et le criminel et Wann-Chlore boudés par le public.

                 Devant le peu de succès de ses oeuvres, Balzac décida alors de tenter sa chance dans diverses entreprises commerciales. Il se fit d'abord libraire-éditeur et songea à une édition compacte des classiques français. Deux éditions illustrées de vignettes, l'une de La Fontaine, l'autre de Molière, furent réalisées mais les souscripteurs firent défaut. En 1826, l'éditeur tenta de se faire imprimeur en acquérant le fonds de Jean-Joseph-Laurens. Enfin, en juillet 1827, ce fut l'achat d'une fonderie de caractères. Mal gérées, ces entreprises périclitèrent. Poursuivi par ses créanciers, l'homme d'affaires malheureux dut se réfugier dans un appartement loué au nom de son beau-frère Surville, rue Cassini. Un cousin, Charles Sédillot, fut chargé de la liquidation : 60000 francs dont 50000 à sa famille restaient dus par Balzac.

                 D'autres événements, de surcroît, étaient venus attrister cette sombre période. Laurence, la soeur cadette, avait été mariée en septembre 1821 à Amand-Désiré Michaut de Saint-Pierre de Montzaigle. Cette union se révéla désastreuse. L'époux dont l'origine avait sans doute flatté la vanité des Balzac était criblé de dettes et d'une moralité douteuse. Laurence, après deux grossesses successives, malade, affligée et désargentée mourut le 11 août 1825 après avoir été abandonnée des siens (au même moment débutait la liaison de Balzac avec la duchesse d'Abrantès). La Maison du Chat-qui-pelote garde la trace de ce douloureux secret de famille.

  • Découverte du roman historique et du journalisme

    biobalzac0121829 marqua un changement de cap dans la production balzacienne avec la parution, en mars, du Dernier Chouan ou la Bretagne en 1800, première œuvre parue sous le nom de Balzac mais surtout roman historique se référant à un passé récent et étude de moeurs enracinée dans une réalité bretonne dont Balzac était allé observer la topographie exacte en séjournant à Fougères chez un ami, le baron de Pommereul. Ayant acquis une certaine notoriété, le romancier se mit à fréquenter les salons parisiens à la mode : celui de Mme de Récamier, de Mme Hamelin, de la princesse Bagration, de la comtesse Merlin, du baron Gérard... biobalzac013En décembre 1829 fut mise en vente la Physiologie du mariage qui obtint un succès dû au scandale provoqué, mais la fortune de son auteur restait encore problématique. biobalzac014Celui-ci se tourna donc vers une activité journalistique plus rentable, collaborant au Voleur, Feuilleton des journaux politiques, à La Silhouette, à La Mode, à La Caricature ou au Temps. Il y fit insérer en prépublication des œuvres courtes, contes ou nouvelles surtout. Toutefois, dès avril 1830, s'esquissa une première forme de structuration de l'œuvre avec une première édition des Scènes de la vie privée (englobant La Vendetta, Les Dangers de l'inconduite, Le Bal de Sceaux, Gloire et malheur, La Femme vertueuse et La Paix du ménage).

  • Un best seller

    biobalzac015Mais le premier grand et véritable succès vint avec la parution en août 1831 de La Peau de chagrin dont le tirage fut épuisé en quatre jours. Ce "conte philosophique" dont l'originalité était d'inscrire le fantastique dans le cadre du Paris du dix-neuvième siècle, par le biais d'un objet magique mais surtout symbolique, mettait en exergue le noyau philosophique de l'œuvre balzacienne déjà écrite et à venir concernant l'énergie vitale.
    Dès lors la production de l'écrivain acquit un rythme intensif qui ne se démentit pas au cours des ans. On n'en saurait mentionner ici de manière exhaustive le détail. Mais pour s'en faire une idée, on peut par exemple noter, à la suite de Roger Pierrot dans sa biographie de Balzac (Fayard, 1999), qu'au début de l'année 1832, les œuvres publiées constituaient déjà un corpus de douze contes philosophiques, dix contes drolatiques, un roman historique et un roman philosophique.

  • Conquêtes féminines : revers et succès

                 Cette activité littéraire débordante n'interdit pas à Balzac de vivre sur le plan personnel des événements empreints eux-aussi d'une bonne dose de romanesque. Rallié au parti légitimiste, il se mit à fréquenter le duc de Fitz-James qui en était le chef et surtout sa nièce, la marquise de Castries, en qui il avait trouvé une fervente admiratrice. Ces derniers l' invitèrent à les accompagner en Italie mais l'équipée balzacienne tourna court car le romancier poliment éconduit par la marquise quitta Genève à la fin d'octobre 1832, pour aller se réfugier à La Bouleaunière, près de Nemours, auprès de Mme de Berny. En créant un peu plus tard le personnage de la coquette duchesse de Langeais, le soupirant malheureux de l'aristocratique marquise transposa en partie sa mésaventure.

    biobalzac016 Auparavant un autre événement destiné à marquer de façon déterminante la vie de Balzac était survenu : son éditeur Charles Gosselin avait reçu pour lui une lettre fort élogieuse postée à Odessa, le 20 février 1832, et signée : "L'étrangère". Ce fut le point de départ d'une longue correspondance et d'un roman d'amour à rebondissements qui se termina par le mariage, en 1850, de l'écrivain avec Eve Hanska, comtesse polonaise issue de l'illustre famille Rzewuski. Les 414 lettres de Balzac conservées - celles de sa correspondante ont été détruites - ont été publiées par Roger Pierrot et constituent un irremplaçable document non seulement sur la vie intime et la psychologie de leur scripteur mais aussi sur la genèse des oeuvres.

    biobalzac017 En juillet 1833 le romancier espérait bien, comme en témoigne sa correspondance, se voir octroyés, avec Le Médecin de campagne (publié en septembre), les 8000 francs du prix Montyon décerné par l'Académie française à un ouvrage louable par sa moralité. Malheureusement, l'ouvrage ne fut pas récompensé... Par ailleurs, au même moment, il imagina la structure de l'ensemble destiné à regrouper sous le titre d'Études de moeurs au XIXème siècle, les Scènes de la vie privée, les Scènes de la vie de province, les Scènes de la vie parisienne et enfin, les Scènes de la vie de campagne. Ce projet fut l'objet d'un contrat, le 20 octobre, avec l'éditrice Mme Charles-Béchet.

                 La fin de l'année 1833 fut aussi marquée par la première entrevue avec Mme Hanska, à Neuchâtel où s'étaient installés les Hanski, suivie, pendant l'hiver 1833-1834, d'un séjour genevois pendant lequel Honoré et Eve devinrent amants.

    biobalzac018 A l'occasion du Père Goriot (publié d'abord dans La Revue de Paris de décembre 1834 à février 1835), Balzac eut l'idée de ce qui devait assurer l'unité de la future Comédie humaine, à savoir le retour des personnages.

    Cependant, vivant toujours sous la menace des créanciers, il dut changer de domicile pour déménager 13 rue des Batailles à Chaillot où il se fit aménager le somptueux intérieur transposé dans La Fille aux yeux d'or. Là il pouvait aussi recevoir sa nouvelle conquête : la comtesse Guidoboni-Visconti, dont il avait fait la connaissance lors d'une réception donnée en février 1835 à l'ambassade d'Autriche. Cela n'empêcha pas l'infatigable voyageur de quitter Paris dès le 9 mai pour aller rejoindre Mme Hanska à Vienne. Au cours de ce voyage, il fut reçu par Metternich, visita en compagnie du général Swarzenberg le champ de bataille de Wagram en vue de ses futures Scènes de la vie militaire. Il quitta à regret Vienne le 4 juin, fort désargenté et plus amoureux que jamais de L'Étrangère.

  • L'aventure de La Chronique de Paris

                De nouveaux soucis l'assaillirent. Brouillé avec Buloz, propriétaire de La Revue de Paris qui avait sans doute communiqué des épreuves du Lys dans la vallée pour une publication en Russie par la Revue étrangère, Balzac refusa de continuer à donner son texte et un procès s'ensuivit (le romancier obtint gain de cause le 3 juin 1836). Par ailleurs, poursuivant la chimère de posséder un périodique à lui, il rassembla des fonds auprès de sa famille et d'une amie, Mme Delannoy, et devint principal actionnaire de La Chronique de Paris. Il songeait à la collaboration d'auteurs en renom comme Hugo ou Gautier mais ce fut lui qui assura l'essentiel de la copie avec la publication, notamment, de La Messe de l'athée, de L'Interdiction, de Facino Cane, du début du Cabinet des Antiques. Les abonnements ne suivant pas, la société dut être dissoute, en juillet 1836, et 46000 francs s'ajoutèrent aux dettes antérieures.

  • Découverte de l'Italie et invention du roman-feuilleton

                Mandaté par les Guidoboni-Visconti pour aller régler en leur nom un litige à Turin, il trouva dans la découverte de l'Italie une diversion à ses ennuis (d'autant plus qu'il avait un compagnon charmant en la personne de Caroline Marbouty déguisée en jeune homme ...). Toutefois, à son retour, le 22 août, une lettre d'Alexandre de Berny en date du 27 juillet lui apprenait la mort de "la dilecta".

    biobalzac019 La publication dans La Presse, en douze livraisons, du 23 octobre au 4 novembre 1836, de La Vieille Fille fait date : ce fut le premier roman à être publié sous la forme de ce qui était appelé à assurer le succès d'un Sue ou d'un Dumas : le roman-feuilleton.
    L'année 1837 en son début fut marquée, toujours pour le compte des Guidoboni-Visconti, par un nouveau séjour en Italie qui permit à Balzac de découvrir le charme de Venise. Le souvenir en resta vivace lors de la rédaction de Massimilla Doni. Les richesses artistiques de Florence et de Bologne contribuèrent en outre à nourrir l'imaginaire balzacien. Cependant, une dure réalité, une fois de plus, attendait l'écrivain à son retour. Poursuivi par ses créanciers consécutivement à l'affaire de La Chronique de Paris, il trouva provisoirement asile, pour leur échapper, chez la belle "contessa" Sarah Guidoboni-Visconti. Fort heureusement, un contrat de 20000 francs pour la publication de César Birotteau (une histoire de faillite !) qui fut mis en vente en décembre 1837, vint apporter quelque répit aux soucis pécuniaires du romancier.

  • Nohant, la Sardaigne, les Jardies

    biobalzac020 L'année suivante, alors qu'il séjournait chez ses amis Carraud, à Frapesles, en Berry, il saisit l'occasion pour demander à George Sand de le recevoir à Nohant. Il y resta du 24 février au 2 mars. Le récit de cette entrevue fait à Mme Hanska est devenu une pièce d'anthologie. George initia Honoré aux délices du houka et, de surcroît, lui livrant des indiscrétions à propos de la liaison de Liszt avec son amie Marie d'Agoult, lui inspira le sujet de Béatrix.

                 Le 15 mars 1838, l'infatigable voyageur prenait la diligence pour Marseille, ayant échafaudé, avec son indéfectible enthousiasme, un nouveau projet destiné à lui assurer une confortable fortune. Il s'agissait de se rendre en Sardaigne pour y exploiter les scories d'anciennes mines argentifères romaines. Une fois sur place, Balzac dut constater qu'il avait hélas été devancé par le négociant génois avec qui il s'était entretenu de cette affaire, lors de son précédent voyage italien... De retour, pendant l'été, il s'installa aux Jardies, à Sèvres, où il avait acheté peu de temps auparavant, une petite propriété qu'il prit plaisir à agrandir et à embellir mais qui fut un nouveau gouffre financier.

  • Théâtre, romans et engagement

    biobalzac021 Profitant de l'opportunité du roman-feuilleton en plein essor, le romancier ne relâcha pas son activité créatrice et l'année 1839 fut particulièrement fructueuse : citons quelques titres qui virent alors le jour comme Une Fille d'Eve, Le Curé de village, Béatrix ou Les Secrets de la princesse de Cadignan.... C'est aussi à ce moment que Balzac commença à songer sérieusement à la scène. Malheureusement la pièce de théâtre envisagée pour assurer son succès dans cet autre genre littéraire, L'École des ménages, fut refusée après lecture au théâtre de la Renaissance.

                 Il est à noter qu'absorbé par ses activités, l'écrivain ne fut pas étranger à l'actualité littéraire de son époque : en témoigne le vibrant hommage accompagné d'une analyse pénétrante qu'il rendit, en avril 1839, à Stendhal, à l'occasion de la parution de La Chartreuse de Parme. De plus, en août, celui qui avait eu à souffrir des conséquences de la contrefaçon et qui fut toujours soucieux de la défense des droits d'auteur fut élu président de la Société des gens de lettres.

                 Mais en ce même mois d'août 1839, un fait divers survint : un notaire, nommé Peytel, accusé du meurtre de sa femme fut condamné à mort. Convaincu de son innocence, Balzac avec le dessinateur Gavarni multiplia les démarches, rédigeant même un mémoire pour la défense de l'accusé, publié dans La Presse. Ses efforts demeurèrent infructueux mais ils sont peut-être l'indice qu'il avait eu connaissance d'une affaire criminelle soigneusement occultée par sa famille : Louis Balssa, le plus jeune frère de Bernard-François, à qui avait été faussement imputé le meurtre de la jeune Cécile Soulié, avait subi lui aussi la peine capitale à Albi en 1819. La présence obsédante dans l'œuvre du personnage du condamné à mort conforte cette hypothèse ainsi que cet engagement assez inattendu pour un homme qu'il connaissait à peine.

    biobalzac022biobalzac023 L'année 1840 fut marquée par une nouvelle tentative théâtrale. Cependant, Vautrin, représenté le 14 mars à la Porte Saint-Martin, fut un échec assorti d'un décret de censure en raison du caractère "immoral" du protagoniste. Fin août, parut l’un des romans les plus sombres de La Comédie humaine, Pierrette, tandis que Balzac, harcelé par ses créanciers, se voyait contraint d'abandonner les Jardies.

  • Naissance de La Comédie humaine

                 Il loua donc une maison à Passy (devenue musée Balzac) qui avait l'avantage, pour un débiteur aux abois, de donner sur deux rues : la rue Basse devenue rue Raynouard et, deux étages plus bas, la rue du Roc, actuelle rue Berton. Le bail était consenti à une certaine Louise Brugnol, dont les rapports avec Honoré étaient en réalité ceux d'une plantureuse servante maîtresse à la manière de Flore Brazier dans La Rabouilleuse... Balzac y demeura jusqu'en 1847.

    biobalzac024 Les deux années qui suivirent furent particulièrement fécondes, le romancier livrant essentiellement en feuilletons la plupart de ses grands romans comme Une ténébreuse affaire, La Rabouilleuse, La Fausse Maîtresse, Les Mémoires de deux jeunes mariées ou Albert Savarus. Mais une date est surtout à retenir, celle du 20 octobre 1841 qui est en quelque sorte l'acte de naissance de La Comédie humaine. biobalzac025En effet, par un contrat avec les éditeurs Hetzel, Paulin, Dubochet et Furne, Balzac consentit à la publication, pour la première fois, sous ce titre inspiré de Dante, de ses œuvres complètes. Seize volumes illustrés par les meilleurs artistes parurent de 1842 à 1846, les œuvres étant regroupées en trois sections : Études de mœurs, Études philosophiques, Études analytiques et précédées d'un Avant-propos soigneusement rédigé par l'auteur, texte capital pour la compréhension de sa démarche de romancier et de philosophe.

  • Premier voyage en Russie, vie mondaine et projets littéraires

                 Dans un cadre plus privé, un événement important était par ailleurs survenu : en janvier 1842, Balzac avait appris le décès de Venceslas Hanski. Mme Hanska était donc libre. Cependant, la comtesse polonaise avertie des trop nombreuses entorses faites par son soupirant au serment de fidélité contracté une dizaine d'années auparavant avait pour ainsi dire rompu. biobalzac026 Il fallait donc la reconquérir. L'histoire d'Albert Savarus, calomnié et, de désespoir, entrant dans les ordres au lieu d'épouser la femme aimée n'avait pas suffi. La troisième partie d’Illusions perdues achevée, Balzac, ne doutant de rien, dûment équipé par son tailleur Buisson, prit donc la direction de Saint-Pétersbourg où séjournait Eve afin de régler des difficultés relatives à la succession de son époux. Il y demeura de la fin de juillet au 25 septembre 1843, renouant avec son étoile du nord et fréquentant divers salons de la bonne société. Le retour lui permit de découvrir l'Allemagne malgré un état de santé assez inquiétant.

                 Malade (névralgies, jaunisse, bronchite), Balzac n'en continua pas moins de mener une vie très active, dînant chez George Sand, fréquentant la duchesse de Castries, Delphine de Girardin, le baron James de Rotschild, posant pour le sculpteur David d'Angers, corrigeant les différentes livraisons de La Comédie humaine, écrivant des lettres-fleuves à Mme Hanska et projetant quarante à cinquante nouveaux romans pour compléter l'ensemble de l'œuvre.

                 Toutefois, si des livres inédits virent encore le jour comme Honorine ou Modeste Mignon, il est à noter que l'inachèvement des Petits Bourgeois, nouvelle scène de la vie parisienne et celui des Paysans dont la publication fut interrompue en décembre 1844, après la parution de treize chapitres en feuilletons dans La Presse, semblent être le signe de l'épuisement intellectuel d'un écrivain surmené.

  • Sur les routes d'Europe

                 Néanmoins, Balzac trouva encore l'énergie d'aller rejoindre Mme Hanska à Dresde dès le 1er mai 1845 et de sillonner l'Europe avec elle, sa fille et le fiancé de celle-ci, Georges Mniszech. Pendant l'été, Honoré fit visiter incognito à Eve la France. En novembre, ils embarquèrent à Marseille pour Naples. Balzac fut de retour à Paris le 17 et peu après, en décembre, se situe une anecdote célèbre dont Baudelaire s'est fait l'écho. L'auteur du Traité des excitants modernes invité à l'hôtel Pimodan y aurait expérimenté le hachisch...

                 L'année 1846 fut elle aussi ponctuée de nombreux voyages, en Italie, en Suisse, en Allemagne. Balzac assista, le 11 octobre, à Wiesbaden, au mariage d'Anna Hanska dont il fut le témoin.

  • Les Parents pauvres ou le chant du cygne

    biobalzac027 Les intervalles de cette errance furent tout de même mis à profit par le romancier pour écrire La Cousine Bette qui acheva de paraître en feuilleton dans Le Constitutionnel, le 3 décembre. Balzac voulait y surpasser "les faux dieux" de ce qu'il appelait la "littérature bâtarde", Sue notamment avec ses Mystères de Paris. Il y parvint, galvanisé sans doute par l'espoir que lui avait donné la grossesse inattendue de Mme Hanska alors âgée de quarante-deux ans, et animé, pour créer le personnage de Lisbeth Fischer, d'une haine réactivée à l'encontre de sa mère qui s'était mise à le harceler de ses récriminations financières alors qu'elle laissait en paix son autre débiteur, l'incapable Henry. Le succès fulgurant de l'ouvrage qui mettait en scène nombre de personnages nouveaux dans l'univers romanesque balzacien ne compensa pas l'immense chagrin entraîné par la fausse couche d'Eve.

    biobalzac028 La perspective d'un mariage prochain, rendu nécessaire par l'heureux événement attendu, et de fonder un foyer avait fait commettre à Balzac une nouvelle folie : l'achat à crédit d'une maison, ancienne dépendance de la chartreuse Beaujon (rue Fortunée, actuellement rue Balzac). Les projets d'aménagement et d'ameublement de cette nouvelle acquisition devinrent quasiment obsessionnels comme en témoigne la correspondance d'un écrivain atteint, comme le héros éponyme du Cousin Pons, de "bricabracomanie" mais doué de beaucoup moins de discernement. L’achèvement de Splendeurs et Misères des courtisanes et cette deuxième partie des Parents pauvres fut le dernier tour de force accompli par Balzac pendant le séjour de la femme aimée de février au début de mai 1847. Avec Le Cousin Pons, Balzac écrit peut-être le roman le plus pessimiste de La Comédie humaine : la médiocrité bourgeoise et la bassesse des passions s'y épanouissent et la mort, dont l'idée hantait désormais l'auteur vieillissant, colore tragiquement l’œuvre en anéantissant une amitié sublime.

  • Une ténébreuse affaire

                 Balzac vit encore une fois Eve Hanska lui échapper pour regagner, cette fois, sa propriété ukrainienne de Wierzchownia. Il se retrouvait seul, la servante maîtresse ayant été renvoyée comme l'avait exigé Mme Hanska, à qui la nature des relations entre Louise Brugnol et le locataire de la maison de Passy n'avait pas échappé. Cette rupture, d'ailleurs, n'alla pas sans heurts : Louise aurait dérobé une vingtaine de lettres pour faire chanter sa rivale, d'où la décision prise par l'écrivain, peu de temps après, de détruire toutes les lettres de l'Étrangère, nous privant ainsi d'un précieux document.

  • Nouvel espoir de mariage déçu

    biobalzac029 Le 5 septembre 1847, Balzac prenait la direction de l'Ukraine, utilisant le nouveau moyen de locomotion que constituaient les chemins de fer. Huit jours plus tard, il arrivait à Wierzchownia. Il y resta jusqu'à la fin du mois de janvier 1848, achevant L'Initié (second épisode de l'Envers de l'histoire contemporaine) et ébauchant trois autres textes qui demeurèrent inachevés : Le Théâtre comme il est, La Femme auteur, Un Caractère de femme. Le mariage tant souhaité n'était toujours qu'un projet difficilement concrétisable en raison de difficultés administratives : Mme Hanska, remariée à un étranger, ne pouvait envisager, en vertu d'une loi draconienne, de conserver ses biens.

  • 1848

    biobalzac030 De retour à Paris, Balzac vit d'un oeil critique la Révolution de 1848 et le sac des Tuileries. Étant donné la conjoncture peu favorable aux succès de librairie, il pensa une fois de plus au théâtre, échafaudant toutes sortes de projets dont un drame intitulé La Marâtre. Il fut boudé par le public en raison des événements politiques. Mercadet, écrit en 1840, et devenu Le Faiseur, faillit être joué par le Théâtre-Français mais l'auteur ne put apporter les corrections demandées car le 19 septembre, il repartait pour Wierzchownia, ayant chargé son ami, le peintre Laurent-Jan, de négocier en son nom ses contrats littéraires, et sa mère, de s'occuper de tout ce qui était relatif à la maison de la rue Fortunée.

  • Heur et malheur

                 Malgré plusieurs suppliques qui lui furent adressées, Nicolas Ier refusa l'oukase qui aurait permis à Mme Hanska de conserver Wierzchownia tout en épousant le romancier français. Elle dut donc prendre l'ultime décision de donner ses terres à sa fille pour aplanir la difficulté. Le mariage maintes fois projeté et remis fut enfin célébré en l'église Sainte-Barbe de Berditcheff, le 14 mars 1850. Mais, ironie du destin, Balzac, au moment où il touchait au bonheur, était irrémédiablement miné par la maladie. De graves problèmes cardiaques et pulmonaires l'avaient affaibli. De plus, au lendemain de son mariage, une ophtalmie se déclara, le rendant incapable, désormais, d'écrire. Le retour vers la France fut d'autant plus pénible que le dégel succédant à l'hiver russe faisait s'embourber continuellement les voyageurs. Il tourna au cauchemar, lorsqu'arrivés rue Fortunée, ceux-ci trouvèrent porte close : le domestique, François Munch, devenu fou refusait l'accès du logis à son maître à bout de forces. Dès lors, les quelques mois qui suivirent ne furent plus pour Balzac, cloué sur un fauteuil, aveugle et devenu hydropique, qu'un long martyre.

  • Un génie s'éteint

    Ses amis ne l'abandonnèrent pas et vinrent le voir. Victor Hugo fut le dernier à lui avoir rendu visite, quelque heures avant son décès survenu le 18 août à onze heures et demie du soir. Il en fit le récit émouvant dans Choses vues. Le 23 août, il prononça sur la tombe du romancier, dans ce haut lieu balzacien qu'est le cimetière du Père Lachaise, un magnifique éloge funèbre, proclamant le génie du démiurge visionnaire qu'était l'auteur de La Comédie humaine. Une voix s'était tue, celle de deux mille personnages s’élevait …
     


    biobalzac031


     

     
  • http://www.balzac-etudes.org © 2005