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Vendredi 05 Décembre 2008
11:41

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ZIVOT JE CUDO (LA VIE EST UN MIRACLE), DVD zone 1

Le voilà revenu Emir Kusturica, après s’être fait discret depuis son dernier film CRNA MACKA, BELI MACOR (CHAT NOIR, CHAT BLANC) (1998) et un documentaire SUPER 8 STORIES (2001). Le réalisateur du cultissime UDERGROUND (1995) revient avec une autre perle, ZIVOT JE CUDO, et nous prouve une fois de plus son immense talent.



ZIVOT JE CUDO (LA VIE EST UN MIRACLE), le DVD zone 1
L’histoire : En Bosnie en 1992, Luka (Slavko Stimac) est un ancien ingénieur venu de Belgrade avec sa femme Jadranka (Vesna Trivalic), ex-chanteuse d’opéra à la voix parfois défaillante, et leur fils Milos (Vuc Kostic) pour s’installer dans un petit village perdu dans la campagne bosniaque. Luka est charger d’aménager la ligne de chemin de fer afin de transformer la région et y amener les touristes. Milos est un fan de soccer et ambitionne d’intégrer l’équipe professionnelle de Belgrade, malheureusement pour lui il est appelé pour effectuer son service militaire. Après la petite fête donnée en l’honneur du départ de son fils, Luka se rend compte que sa femme s’est enfuit avec un musicien hongrois. Comble du malheur, peu de temps après le départ de son fils pour l’armée, la guerre éclate et Milos est fait prisonnier. Les militaires ayant d’autres préoccupations que la disparition d’un de leur soldat, Luka se voit confier la garde de Sabaha (Natasa Solak), otage musulmane. Luka compte bien l’échanger contre la libération de son fils. Mais le temps passe et Luka tombe amoureux de la jeune femme.

Emir Kusturica est un réalisateur atypique comme on les aime. Tout est dans le contraste et la contradiction. Né à Sarajevo, sa famille, bien que bosniaque musulmane, a des origines slaves orthodoxes. Comme des millions de yougoslaves, son père avait troqué sa foi pour le communisme et a travaillé pour le ministère de l’information. Peut être par opposition, le jeune Emir s’acoquina avec les voyous de Sarajevo. Ses parents décidèrent de l’envoyer à l’étranger dans la fameuse FAMU, l’école du cinéma à Prague d’où sont sortis Milos Forman ou Goran Paskaljevic. Très vite le jeune étudiant se fait remarquer par ses courts métrages audacieux comme GUERNICA (1978), mais surtout BIFE ‘TITANIC’ (1979) qui dénonçait le racisme envers les juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Alors Kusturica militant politique ? C’est en tout cas ce que vient confirmer le film OTAC NA SLUZBENOM PUTU (1985) (traduisez PAPA EST EN VOYAGE) qui dénonce les déportations politiques en Yougoslavie communiste, sujet hautement tabou peu après la mort de Tito. Le film remporte contre toute attente la palme d’or à Cannes et, est nommé aux Oscars© ainsi qu’aux Golden Globes la même année.

Cependant, après ce succès surprise, Emir Kusturica délaisse le cinéma et se tourne vers la musique en intégrant, avec des amis, un groupe de musique Punk sous le nom de Zabranjeno Pusenje (No Smoking). Les paroles sont corrosives, le style électrique et le groupe est subversif. Emir Kusturica va y rester pendant un an puis décide de revenir au cinéma. Jusque-là, Emir a toujours tourné dans sa propre langue, allant jusqu’à faire parler les acteurs avec les accents régionaux afin de marquer le pluralisme de la Yougoslavie d’alors. Ce fut le cas pour SJECAS LI SE, DOLLY BELL (1981) (Te souviens tu de Dolly Bell) qui est le premier film yougoslave à ne pas être tourné en serbo-croate. Kusturica va aussi tourner en romanes pour le film DOM ZA VESANJE (1988) (le temps des gitans), puis vient l’expérience américaine. La Columbia, producteur de DOM ZA VESANJE, l’appelle à New York pour donner des cours de cinéma à la Columbia University. L’un de ses élèves lui soumet un script qui deviendra ARIZONA DREAM (1993). Tourné en langue anglaise, il s’agit d’une version poétique et désabusée du rêve américain, avec des acteurs comme Johnny Deep, Jerry Lewis ou Faye Dunaway. La guerre éclate en Yougoslavie pendant le tournage du film qui connaît alors quelques crispations, tout ne se passe donc pas pour le mieux. Kusturica pense à sa famille restée dans les Balkans et la réalisation du film s'en ressent.

Kusturica met fin à cette expérience américaine, pris d'un besoin de communiquer au monde l'histoire de son pays. Il écrit, avec le dramaturge yougoslave Dusan Kovacevic, le scénario d'UNDERGROUND (1995). Il retrace cinquante ans de l'histoire de son pays, de la seconde guerre mondiale aux événements les plus récents en 1994. Réalisé sous une forme burlesque, UNDERGROUND demeure aujourd’hui l'œuvre la plus ambitieuse du réalisateur. Cependant avec ce film, Kusturica a maille à partir avec une partie des « intellectuels » français qui le considèrent ni plus ni moins comme un film de propagande pro-serbe et confonde une belle œuvre avec le bien. Kusturica, qui pensait avoir accompli son devoir de mémoire, se sent alors incompris. Il songe un temps à se retirer du cinéma. Les années qui suivirent marquèrent un adoucissement dans les thèmes que le réalisateur met en scènes et adhère au principe des « happy end ». Ainsi s’enchaîneront CRNA MACKA, BELI MACOR (1998) et SUPER 8 STORIES (2001). L’optimisme est de rigueur, ce sont du reste de très bons films, un peu plus léger certes mais fort bien réalisés et ils reçurent, l’un comme l’autre, de nombreuses récompenses dans divers festivals. Mais ils restent, à ce jour, des succès critiques ou réservés aux cinéphiles. Du reste, Emir Kusturica retourne à la musique et reforme avec ses amis le Zabranjeno Pusenje, rebaptisé sous leur traduction anglaise : No Smoking Orchestra.

Il fallut donc un long chemin à Kusturica, et un certain recul, avant de revenir au cinéma nous livrer une nouvelle perle comme il sait le faire : ZIVOT JE CUDO, (LA VIE EST UN MIRACLE). Les prises de vus ont duré plus d’un an et demi, un nouveau record pour un tournage fleuve. Le film fut tourné par toutes les saisons. La seconde partie, où la plupart des scènes se déroulent en extérieur (en fait quatre vingt pour cent du film fut réalisé en extérieur), fut très pénible pour les acteurs qui eurent à souffrir du froid. Il y a sur le film un très gros travail de lumière car celui-ci fut tourné dans un endroit très peu ensoleillé. Le film est un poème dédié à la vie, à la beauté (les paysages sont magnifiques) et à l’amour. C’est aussi un message de tolérance anti-raciste. Le réalisateur livre une fois de plus sa vision des choses, et c’est pourquoi on retrouve à travers le film de l’humour, de la poésie, du romantisme, de l’amertume et même des scènes carrément hors du temps comme celle de la chorale ou le match de soccer où on frisse l’hystérie. Le film est immergé dans une musique entêtante.

À travers une histoire d’amour sur fond de conflit, Kusturica pose la question de la raison profonde de la guerre civile. Certes la situation de la région, partagée entre Serbes, Croates et Musulmans, gelée depuis 1945, avait généré une énergie négative, mais le film montre clairement qu’il s’agît bien moins d’une guerre de religion que d’une guerre de pouvoir. En passant d’un régime communiste à un régime capitaliste, l’ex-Yougoslavie se devait de choisir ses nouveaux maîtres, soit des multinationales, soit des escrocs du cru. C’est ce à quoi s’attache à répondre le réalisateur dans la première partie du film. Kusturica a aussi voulu polisser (à tort ?!) la responsabilité de l’armée régulière, en y montrant des soldats corrompus, bien sûr, mais aussi des soldats honnêtes. C’est pour cette raison qu’il a choisi son fils pour interpréter le responsable militaire, pour faire contre-pied à la doctrine imposée par les médias… une position éminemment politique.

Mais plutôt que de nous montrer la guerre à travers d’innombrables scènes de combats ou autres atrocités liées, Kusturica a décidé de montrer l'absurdité, les non sens. À travers le destin de cette improbable jeune fille otage musulmane, remise entre les mains d’un pauvre Serbe orthodoxe qui ne demandait rien d’autre que la libération de son fils, le réalisateur distille une histoire d’amour entre deux personnes à qui on a dit que tout les opposait. Kusturica réalise un film absolument délirant dans sa forme et certains passages sont carrément hallucinants. Si Kusturica ne fait pas un film sur la guerre en elle-même, il sait à travers son humour burlesque (et parfois proche des Marx Brothers) apporter une rupture et ramener tout son petit monde à la réalité de manière brutale ; c’est cela aussi le cinéma de Kusturica : un croisement entre un humour bouffon avec des envolées oniriques et musicales outrancières et le retour brutal à la réalité sans fioritures. C’est à travers tous ces paradoxes que le réalisateur nous fait prendre conscience que la vie est un miracle…

L’image est au format 1.85:1 avec transfert anamorphosé (16:9) et est issue d’un transcodage portant les signaux européens PAL vers le standard nord-américains NTSC (Dans quelques années, lorsque la haute définition sera bien implantée, on ne parlera plus de ça...). On peut dire que le transfert est d’assez bonne qualité malgré tout. De belles couleurs restituent parfaitement les paysages de Serbie et le travail de la photographie et de la lumière est bien retranscrit. On remarque parfois un peu de grain sur les scènes en extérieures (les contrastes sur ces mêmes scènes auraient pu être un peu plus marqués). On rencontre des problèmes de compression dans les scènes incluant de la fumée, voir la scène de soccer qui finit dans un épais brouillard avec une pixellisation voyante, quelques fourmillements çà et là se font sentir mais l’ensemble reste honnête compte tenue de ce transcodage PAL/NTSC.

Côté son, c’est la surprise (!?) : une seule piste est présente et ce n’est pas la version originale (qui est dans les faits un mélange de serbo-croate, d’anglais, d’allemand et d’hongrois) mais la piste audio française (doublage effectué en France) en Dolby Digital 5.1. Quoi qu’il en soit, cette piste est de bonne facture et exploite tous les canaux de manière équilibrée avec cependant une accentuation sur les dialogues. La musique y trouve l’espace nécessaire pour rythmer le film. On peut constater une belle ouverture dans les canaux arrière lors des passages musicaux tandis que ce sont les canaux avant, et notamment les graves et le canal .1 (LFE), qui assurent la restitution des séquences de bombardements et scènes (rarissimes) de guerre. Aucun sous-titre de disponible. Dire que la version originale ne nous manque pas serait mentir.

Le seul supplément se résume à la bande-annonce cinéma du film.

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Kusturica revient et nous prouve par ce film que les ambiguïtés qui ont entaché UNDERGROUND, ne sont que de mauvais procès fait à son encontre. Kusturica nous prouve qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et, bien au-delà, ne pas s’arrêter aux apparences. Il plaide la cause de l’amour et prêche la tolérance tout en nous indiquant les réelles motivations de conflits internes. Espérons que le réalisateur ne s’arrêtera pas en si bon chemin et on attend son prochain film avec impatience. En attendant, je ne peux que vous conseiller le visionnement de ZIVOT JE CUDO et profiter pleinement de l’univers si particulier de Kusturica.

Studio éditeur : Christal Films
Date de sortie : 5 Juillet 2005

Film : 4.5/5
Image : 3/5
Son VF : 3,5/5
Bonus : 0,5/5



Yann Algoët
yann@dvdquebec.com

Mercredi 31 Août 2005

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