Discours d’ouverture de S.E. M. l’Ambassadeur d’Ukraine en Belgique V.D. Khandogiy lors du Colloque, organisé à l’occasion de la commémoration du Septantième anniversaire de la Grande Famine en Ukraine
le 3 avril 2003 au Sénat belge

Mesdames, Messieurs,

Nous commémorons aujourd’hui le Septantième (70ième) anniversaire de l’une des plus grandes tragédies qu’ait vécues le peuple ukrainien, celle de la famine de 1932-1933 (dix-neuf cent trente deux – dix-neuf cent trente trois), organisée en Ukraine par le régime totalitaire stalinien.

La famine a emporté des millions de victimes ukrainiennes.

Nombreuses furent les régions d’Ukraine touchées par la Grande Famine. Le régime en place avait estimé indispensable d’éliminer la paysannerie, couche sociale aisée, caractérisée par son esprit d’indépendance au sein de l’Etat. L’élimination physique des paysans ukrainiens sous les coups d’une famine organisée a été l’expression consciente de la terreur dirigée par un système politique contre sa propre population civile.

La famine a eu pour résultat non seulement la disparition de générations entières de paysans, fondement de la nation, mais aussi la perte tragique de ses traditions, de sa culture spirituelle et de son identité. Les conséquences et les proportions gigantesques de la famine en Ukraine montrent que ce fut une des plus grandes catastrophes humanitaires et sociales dans l’histoire de l’humanité.

On le sait : le régime soviétique a toujours nié officiellement durant des décennies la vérité sur sa volonté d’exterminer la nation ukrainienne. Néanmoins, les efforts soutenus de l’opinion internationale, en particulier ceux de la diaspora ukrainienne, ont démantelé “ce Mur du Silence”.

Après la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine et grâce aux efforts des représentants des milieux scientifiques, politiques, de  tous les patriotes ukrainiens, la vérité sur cette tragédie devint enfin accessible au monde entier.

Les Arrêtés de la Verkhovana Rada d’Ukraine (le parlement ukrainien), les Décrets du Président d’Ukraine et de son Cabinet des Ministres portant sur la préparation et l’organisation de la commémoration du Septantième anniversaire de la Grande Famine ont fondé, d’un point de vue légal, les recherches fondamentales en la matière, ainsi que l’interprétation juridique et l’analyse en terme politique des crimes contre l’humanité.

Le 12 février dernier se déroulèrent à la Verkhovna Rada d’Ukraine les auditions parlementaires à la mémoire des victimes de la famine de 1932-1933. Ont participé à ces auditions les représentants du Corps législatif, les membres du Gouvernement, ceux de la Cour Suprême, les représentants des milieux scientifiques, de l’opignon public. Au cours de ces auditions, des parlementaires ont déposé une proposition demandant à l’Organisation des Nations Unies de reconnaître dans la Grande Famine de 1932-1933 un acte de génocide contre la nation ukrainienne.

Une analyse sociale, politique et juridique de ces événements à charge des Institutions internationales, est nécessaire si l’on veut rétablir la justice historique et favoriser le développement du processus démocratique dans le monde de demain.

Le Gouvernement ukrainien, la Verkhovna Rada d’Ukraine, comme du reste de la société ukrainienne, ont un devoir particulier à l’égard des victimes de la famine de 1932-1933. Ce sentiment du devoir ne se limite pas à la commémoration douloureuse du Septantième anniversaire de cette terrible tragédie.

Le Comité pour la Préparation et l’Organisation de la commémoration du Septantième anniversaire de la Grande Famine, présidé par le Premier-ministre d’Ukraine Victor Yanukovych, a mis en œuvre la réalisation de toute une série de manifestations importantes à l’échelon national. Il s’agit notamment de l’érection d’un Mémorial national destiné à rappeler le souvenir des victimes de la famine et des répressions politiques.

L’Ukraine veut attirer l’attention de la communauté internationale sur tous ces faits.

Nous sommes reconnaissant envers les représentants du Sénat belge, des milieux scientifiques et universitaires, de la communauté ukrainienne, de tous les Belges d’une façon générale, pour le soutien qu’ils ont apporté à notre initiative d’organiser ce colloque.

Spécialement au professeur de l’Université de Liège Monsieur Peterman qui est le coorganisateur de cet événement.

Je veux exprimer aussi la reconnaissance au réalisateur ukrainien Oless Yanchouk auteur du film “Famine – trente trois”. Il nous présentera aujourd‘hui ce film.

Le monde entier — comme les Belges — tous doivent connaître la vérité sur cette tragédie monstrueuse. Afin que de tels événements ne puissent se reproduire à l’avenir !

Merci de votre attention.

Adresse du Président du Sénat de Belgique
A. De Decker

Nous sommes réunis aujourd’hui pour commémorer avec le peuple d’Ukraine, ensemble avec la Communauté internationale, un des événements les plus tragiques de l’histoire d’Ukraine : celui du 70-ième anniversaire de la famine de 1932-1933, famine sciemment organisée par le régime antihumain de Staline. Ce faisant, nous voulons rendre hommage à la mémoire des victimes de cette tragédie qui a emporté plus de 7 millions de vies humaines.

Ce crime monstrueux, dirigé contre le peuple ukrainien, a saisi d’horreur le monde par ses proportions gigantesques et par ses aspects dramatiques sans précédent.

La famine de 1932-1933 en Ukraine est l’expression du cynisme par lequel s’est manifestée la terreur politique dont les conséquences témoignent de l’importance de cette catastrophe au niveau humanitaire dans l’histoire du XXe siècle.

La famine 1932-1933 en Ukraine est un acte de génocide dirigé contre le peuple ukrainien. C’est un des crimes les plus graves commis contre lui durant de l’époque du totalitarisme.

En rendant hommage à la mémoire de toutes les victimes de cette tragédie, nous, Représentants de la Belgique, nous nous prononçons pour que le monde entier connaisse la vérité sur cet acte monstrueux. C’est aussi, de notre part, l’expression d’une volonté afin que de tels événements ne puissent se répéter à l’avenir.

Discours de Simon Petermann, professeur à l’Université de Liège

Nous commémorons aujourd’hui la grande tragédie qui s’est déroulée en Ukraine dans les années ’30. La grande famine de 1932-1933 fit, selon des sources aujourd’hui incontestables, plus de 6.000.000 de victimes. Cette catastrophe ne fut cependant pas une famine comme les autres. Elle fut sciemment organisée par Staline comme conséquence directe de la collectivisation forcée organisée à la fin des années ’20.

A la différence de la famine de 1921-1922, reconnue par les autorités soviétiques qui firent largement appel à l’aide internationale, celle de 1932-1933 en Ukraine fut toujours niée par le régime qui couvrit de sa propagande les quelques voix qui, à l’étranger, cherchèrent à attirer l’attention sur cette tragédie. A l’époque, le régime stalinien fut grandement aidé par des “ témoignages ” sollicités, comme celui d’Edouard Herriot, député français et leader du parti radical qui lors d’un voyage organisé en Ukraine pendant l’été 1933, raconta qu’il n’y avait que “ jardins potagers de kolkhozes admirablement irrigués et cultivés ” et “ récoltes décidément admirables ” avant de conclure de manière péremptoire : “ j’ai traversé l’Ukraine. Eh bien ! Je vous affirme que je l’ai vue tel un jardin en plein rendement ”. Bien d’autres témoignages manipulés iront dans le même sens tel celui de Walter Duranty, journaliste au New York Times titulaire de trois prix Pulitzer et de l’Ordre de Lénine.

Cet aveuglement résultait non seulement de la propagande orchestrée par la Guépéou pour les hôtes étrangers mais était également conforté par des considérations politiques. Les dirigeants français de l’époque voulaient se rapprocher de l’U.R.S.S. face à une Allemagne devenue plus menaçante suite à l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne. C’est l’époque également où les Etats-Unis reconnaissent l’U.R.S.S. et sont favorables à son adhésion à la S.D.N. C’est dire que les informations sur la famine en Ukraine était de nature aux yeux des responsables des grandes démocraties à nuire à ces rapprochements.

Si beaucoup de démocrates sont aveuglés à l’époque par la propagande soviétique, en revanche de hauts dirigeants politiques allemands et italiens eurent connaissance, avec une remarquable précision de la famine de 1932-1933. Je ne citerai qu’un exemple. Les rapports des diplomates italiens en poste à Kharkov, Odessa ou Novorossisk, montrent que Mussolini était bien informé. Le leader fasciste n’utilisa cependant pas ces informations dans sa propagande anti-communiste. Au contraire, l’été 1933 fut marqué par la signature d’un traité de commerce italo-soviétique, suivie de celle d’un pacte d’amitié et de non-agression.

Pendant des décennies la vérité fut donc niée ou sacrifiée sur l’autel de la raison d’Etat. Seuls quelques journaux confidentiels de l’immigration ukrainienne firent référence à ces événements. Les causes réelles de cette famine provoquée artificiellement seront longtemps l’un des secrets les mieux gardés de l’histoire soviétique. La vérité sur cette tragédie ne commença véritablement à s’imposer que dans la deuxième moitié des années 1980, à la suite de toute une série de travaux et recherches menés en Occident, en Ukraine ou dans l’ex-U.R.S.S.

On ne peut évidemment comprendre ce qui s’est passé sans évoquer la collectivisation forcée de l’agriculture réalisée entre 1929 et 1933. La guerre que mena le régime stalinien contre la paysannerie, considérée comme une classe bourgeoise ennemie du prolétariat et accusée d’accaparer les récoltes, fut atroce. Effectivement, chaque année la campagne de collecte organisée par le pouvoir se transformait en une épreuve de force entre l’Etat et la paysannerie qui tentait désespérément de garder pour elle une part de sa récolte. Et plus la région était fertile plus elle était ponctionnée. Pour vous donner un exemple, en 1930 l’Etat collecta 30 % de la production en Ukraine. En 1931 pour une récolte bien inférieure, ce pourcentage monta à 41,5 %. De tels prélèvements désorganisèrent totalement le cycle productif.

La première phase de la collectivisation forcée se heurta à un véritable “ front de résistance passive ” dans lequel on retrouvait même de nombreux kolkhoziens. La répression devint de plus en plus dure et les autorités centrales envoyèrent des “ brigades de choc ” recrutées en ville parmi les komsomols et les cadres du parti pour “ prendre les céréales ”. On estime que pendant la période 1929-1930 des centaines de milliers de paysans furent déportés en Sibérie et dans le grand Nord russe.

Un véritable climat de guerre allait s’installer dans les campagnes. La seconde phase de l’opération fut réalisée entre 1930 et 1932 avec pour objectif la collectivisation “ immédiate et totale ”. Dans l’arsenal répressif, la loi promulguée le 7 août 1932 joua un rôle décisif. Cette loi prévoyait de condamner à 10 ans de camp ou à la peine de mort “ tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste ”. Elle fut connue dans le peuple sous le nom de “ loi des épis ” car les personnes le plus souvent condamnées avaient volé quelques épis de blé ou de seigle dans les champs kolkhoziens. Cette loi permit de condamner d’août 1932 à décembre 1933 plus de 125.000 personnes dont 5.400 à la peine capitale.

Malgré ces mesures répressives, le blé ne “ rentra pas ”. En octobre 1932 Staline décida d’envoyer en Ukraine et dans le Caucase du Nord deux commissions extraordinaires, l’une dirigée par Viatcheslav Molotov, et l’autre par Lazar Kaganovitch, dans le but “ d’accélérer les collectes ”. Les mesures suivantes furent prises à l’encontre d’un certain nombre de districts inscrits au “ tableau noir ” selon la terminologie officielle : retrait de tous les produits des magasins, arrêt total du commerce, remboursement immédiat de tous les crédits en cours, imposition exceptionnelle, arrestation de tous les “ saboteurs ”, “ éléments étrangers ” et “ contre-révolutionnaires ” suivant une procédure accélérée, sous l’égide de la Guépéou.

En Ukraine la commission Molotov procéda à des purges au sein des organisations locales du parti ainsi qu’à des arrestations massives non seulement de kolkhoziens, mais aussi des cadres des kolkhozes, soupçonnés de “ minimiser la production ”. Toutes ces mesures que je viens d’évoquer furent étendues à d’autres régions productrices de céréales.

Tout cela ne suffisait pas pour vaincre la résistance des paysans. On décida donc de les affamer. Les kolkhozes qui n’avaient pas encore rempli leur “ plan ” furent immédiatement ponctionnés de toutes leurs réserves. Les grains furent stockés dans des entrepôts sous haute surveillance policière. Les champs furent gardés par des miradors et l’armée massée aux frontières de l’Ukraine pour empêcher les paysans de s’approvisionner en ville. Les paysans affamés furent contraints de ramasser ici et là quelques graines dans les champs, puis mangèrent les oiseaux, les chats, les chiens, les taupes et même les charognes. Des millions de paysans des régions agricoles les plus riches de l’Union soviétique et notamment en Ukraine furent ainsi livrés à la famine et n’eurent d’autre ressource que de partir vers les villes. Or le gouvernement venait d’instaurer en décembre 1932 le passeport intérieur et l’enregistrement obligatoire pour les citadins, dans le but justement de limiter l’exode rural, de “ liquider le parasitisme social ” et de “ combattre l’infiltration des éléments koulaks dans les villes ”. Face à cette fuite des paysans pour la survie, Staline édicta donc, le 22 janvier 1933 une circulaire qui condamna à une mort programmée des millions d’affamés. Signée par Staline et Molotov cette circulaire ordonnait aux autorités locales et en particulier à la Guépéou d’interdire les départs massifs des paysans d’Ukraine et du Caucase du Nord vers les villes.

Dans toutes les régions touchées par la famine, la vente des billets de train fut immédiatement suspendue ; des barrages furent mis en place pour empêcher les paysans de quitter leur district. En mars 1933 un rapport de la police politique précisa qu’en l’espace d’un mois 219.460 personnes avaient été interceptées et que les trois-quarts d’entre elles avaient été “ ramenées dans leur région d’origine ”.

Au printemps 1933 la mortalité va atteindre des sommets. A la faim s’ajoute le typhus. Dans des bourgs de plusieurs milliers d’habitants il n’y a que quelques dizaines de survivants. De nombreux cas de cannibalisme sont signalés dans les rapports de la Guépéou comme dans ceux des diplomates italiens en poste à Kharkov. Je ne vous lirai qu’un seul extrait d’un rapport mais qui est tout à fait significatif : “ on ramasse à Kharkov chaque nuit près de 250 cadavres de personnes mortes de faim ou du typhus. On remarqua qu’un très grand nombre d’entre eux n’avait plus de foie : celui-ci paraissait avoir été retiré par une large entaille. La police finit par cueillir quelques-uns uns des mystérieux “ amputeurs ” qui avouèrent qu’avec cette viande ils confectionnaient la farce des petits pâtés qu’ils vendaient ensuite sur le marché ”. On disait d’ailleurs à l’époque que les seuls à manger à leur faim dans les campagnes étaient les communistes et les anthropophages.

Pendant que des millions de paysans mouraient de faim, le gouvernement soviétique continua d’exporter à l’étranger 18 millions de quintaux de blé pour “ les besoins de l’industrialisation ”.

Les archives démographiques et les recensements de 1937 et 1939, tenus secrets jusqu’à ces dernières années permettent d’évaluer l’ampleur de la famine de 1933. Géographiquement, la “ zone de la faim ” a couvert l’ensemble de l’Ukraine, une partie de la zone des terres noires, les riches plaines du Don, du Kouban et du Caucase du Nord, ainsi qu’une grande partie du Kazakhstan. On estime que près de 40 millions de personnes furent touchées par la famine ou la disette. On sait aujourd’hui que dans les régions les plus atteintes, comme les zones rurales autour de Kharkov, la mortalité entre janvier et juin 1933 fut multipliée par 10 par rapport à la moyenne : 100.000 décès en juin 1933 dans la région de Kharkov, contre 9.000 en juin 1932. Il faut ajouter que de très nombreux décès ne furent même pas enregistrés. Et les villes elles aussi furent durement frappées. Kharkov par exemple perdit en un an plus de 120.000 habitants, Krasnodar 40.000 et Stavropol 20.000.

Pour l’année 1933 et pour l’ensemble du pays on observe un surplus de décès supérieur à 6 millions. L’immense majorité de ce surplus étant due à la famine, on peut valablement estimer à 6 millions de victimes environ le bilan de cette stratégie. La paysannerie d’Ukraine paya le plus lourd tribut avec au moins 4 millions de morts. Les chiffres pourraient d’ailleurs se situer plus près des 6 millions de morts d’après des estimations fondées sur les données démographiques relatives à la population ukrainienne.

Avec son cortège de violence, de tortures, de mise à mort de populations entières la grande famine traduit une formidable régression à la fois politique et sociale. La barbarie s’installa partout, les exactions furent érigées en pratique quotidienne, des milliers d’enfants furent abandonnés, le cannibalisme réapparut avec les épidémies et le brigandage.

Je voudrais vous lire quelques lignes de la description que Vassili Grossman fait dans Vie et Destin de la situation dans certains villages ukrainiens : “ le village était empli de gémissements doux et plaintifs ; de petits squelettes, les enfants rampaient à terre, dans les isbas en geignant. Les hommes, les pieds gonflés d’eau erraient dans les cours, incapables du moindre effort. Les femmes cherchaient quelque chose à cuire, tout avait été cuit, tout avait été mangé : orties, glands, feuilles de tilleul, sabots, vieux os, cornes, peaux de mouton…et les gaillards venus de la ville allaient de maison en maison, passant devant les morts et les agonisants, ouvraient les caves, creusaient des trous dans les granges, sondaient le sol avec des tiges de fer : ils cherchaient et réquisitionnaient le “ grain de cachaient les koulaks ”.

Faut-il voir dans cette famine, comme le font aujourd’hui de nombreux publicistes et historiens ukrainiens, un “ génocide du peuple ukrainien ” ? Il est en tout cas indéniable que la paysannerie ukrainienne a été la principale victime de la famine programmée de 1932-1933 et que celle-ci a été précédée, dès 1929, de plusieurs offensives contre l’intelligentsia ukrainienne accusée d’abord de “ déviation nationaliste ”, puis à partir de 1932 contre une partie des communistes ukrainiens. Le parti communiste ukrainien, accusé de “ déviation ” fera l’objet d’une épuration massive (27.000 membres sur 125.000 sont expulsés) qui a éliminé la presque totalité du comité central et du Politburo. En 1937, l’ensemble du gouvernement soviétique d’Ukraine est liquidé ; 17 ministres seront exécutés en 1938. Il faut d’ailleurs rappeler que dès 1921, l’armée reconstituée par Trotski et la police politique créée par Djerzinski lance une terrible répression en Ukraine : des milliers de combattants de la guerre civile, notamment ceux de l’Organisation militaire ukrainienne (UWO) seront massacrés sans procès et la Tchéka ira même éliminer les opposants ukrainiens à l’étranger. Après la guerre civile la politique soviétique à l’égard de l’Ukraine varia en fonction d’objectifs opportunistes : “ ukrainisation ” et autonomie culturelle dans le cadre de la NEP, afin de réduire l’hostilité des campagnes au communisme, puis centralisation à partir de 1927 et mise sous tutelle de l’économie, répression et épuration après 1930. On peut très certainement parler de l’“ ukrainophobie ” de Staline. Il fallait selon lui non seulement faire la guerre aux paysans qui opposaient une résistance à la collectivisation mais également “ dénationaliser ” certaines régions afin de mieux pouvoir les russifier. Le Consul italien à Kharkov a même écrit dans un rapport du 31 mai 1933 que Staline était prêt à liquider le “ problème ukrainien ” en quelques mois en sacrifiant de 10 à 15 millions de personnes. Mais il faut également remarquer que proportionnellement la répression par la famine a toucher tout autant les contrées cosaques du Kouban et du Don, et le Kazakstan. En réalité la famine apparaît comme l’ultime épisode de l’affrontement commencé dans les années 1918-1922 entre l’Etat bolchévique et la paysannerie. Il existe en effet une remarquable coïncidence des zones de fortes résistances aux réquisitions de 1918-1921 et à la collectivisation de 1929-1930, et des zones touchées par la famine. Des 14.000 émeutes et révoltes paysannes recensées par la Guépéou en 1930, plus de 85 % eurent lieu dans les régions “ punies ” par la famine de 1932-1933.

Les travaux et recherches sur cette tragédie sont indispensables pour préserver la mémoire. Toute la clarté doit être apportée sur l’un des génocides oubliés du XXe siècle. J’espère que la commémoration d’aujourd’hui contribuera à rendre justice aux victimes innocentes de l’un des plus grands criminels de l’histoire.

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