par Sylvie Lainé
Il fait froid, dans cette gare qu’on dirait ouverte à tous les vents – il fait froid malgré la foule, malgré tous ces baisers de gens qui se retrouvent, malgré les anoraks des skieurs, malgré ces écharpes de toutes les couleurs, ces valises gonflées à craquer, et les paquets en plus qu’ils ont dans les bras, malgré les joues rouges des petits qui crient en tirant leurs parents par la main, malgré les groupes qui s’agglutinent, se font et se défont, passent et repassent.
J’ai trouvé un petit coin de banc, juste sous le panneau d’affichage, c’est là qu’on a rendez-vous ; son train ne devrait plus tarder maintenant, ils ont tous du retard, et moi je suis venue en avance. Chaque fois qu’un nouveau troupeau débarque, je me lève pour mieux les voir passer, sans m’éloigner, est-ce son train cette fois ?
Ça se calme, c’est fini pour celui-ci, ils sont tous descendus, il sera peut-être dans le prochain. Je me rassois au même endroit, jusqu’à la prochaine fois. Le vieux type à côté est assis avec les jambes largement écartées qui débordent devant les miennes, en plus il pue, je me tiens le plus loin possible.
Je suis assise, et une fille vient se planter devant moi – j’ai son ventre juste devant les yeux. Elle me regarde fixement. Je ne peux pas me recroqueviller davantage, j’aime mieux être au niveau de sa poitrine que de sa ceinture – alors je me redresse et je la regarde moi aussi. Elle est jeune, brune, plutôt jolie, les traits un peu durs, une mèche en travers du visage.
Elle se penche vers moi pour me parler.
— C’est avec vous qu’il a rendez-vous, n’est-ce pas ? Je vous reconnais, j’ai vu votre photo.
Un instant de flottement. Le temps de comprendre.
— C’est Peter qui vous envoie ?
Alors là, elle sourit d’un air radieux.
— Ça fait un moment que je vous cherchais.
Le vieux monsieur d’à côté vient de se lever, faut dire qu’elle était plantée entre ses jambes, presque sur ses genoux. Du coup elle profite de la place pour s’installer à côté de moi. Pas gênée, la fille. Mais comment est-ce possible.
— Il n’a pas pu venir ? Il vous a envoyée me chercher ? Je ne comprends pas. Il ne m’a jamais parlé de vous.
— Ça s’est décidé à la dernière seconde. Il n’a pas eu le temps. Trop de choses à préparer. Il n’a même pas eu le temps de vous prévenir, et moi je devais venir de toute façon. Il m’a juste dit où vous trouver. Et vous voyez, je vous ai trouvée !
Ça, c’est indéniable.
Elle me décoche un grand sourire et me tend la main, que je lui serre – elle a la poigne énergique.
— On peut peut-être se présenter, non ? Je suis Yata. Yata, comme hiatus. Tous mes copains m’appellent Yata.
— Moi c’est Héra, dis-je bêtement – elle le sait déjà, n’est-ce pas ? et j’enchaîne : tu es une copine à Peter ? Tu fais partie de la communauté ?
— Oui, bien sûr. Ça fait quatre ans, maintenant. Viens, on ne va pas rester là !
Elle se lève sans attendre mon approbation. Je prends mon sac à main, je me lève et je la suis, elle fonce déjà vers la sortie. Quand elle a franchi la porte, elle se tourne vers moi.
— On va chez toi ? ou tu avais prévu autre chose ? on se fait un petit shopping ? la veille de Noël, c’est obligé, non ? On va chercher un cadeau pour Peter ? Je vais te donner des conseils. Il adore les fringues. Il t’a dit ?
Je suis un peu dépassée. Un cadeau pour Peter ? Je lui ai déjà préparé un cadeau, du parfum, en me demandant s’il aimerait ; du parfum c’est intime, je ne l’ai pas encore assez reniflé pour être sûre d’avoir bien choisi – ce n’est peut-être pas une mauvaise idée le shopping, elle va me donner des idées, faut que ça reste dans mes moyens, je dois bien pouvoir après tout, et zut ! Ce n’est pas maintenant que je vais faire des économies. Pas au moment où je vais tout quitter.
— D’accord. Il n’est même pas onze heures, on a le temps avant midi – on va dans le centre ?
Elle montre l’avenue de Brest d’un doigt décidé.
[...à suivre...]
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Le prix du billet (part 1) (PDF - 627.3 ko)
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