hopala ! - courrier des lecteurs

Droit de réponse de Françoise Morvan

Dans le numéro 13 de hopala ! (mars-juin 2003) Gérard Prémel avait cru devoir consacrer un article pesamment critique au Monde comme si. Je constate avec satisfaction à lire le numéro 14 de la revue qu'il reconnaît le bien-fondé de toutes mes remarques : il n'y a, en effet, nulle mention de Cadoudal dans Le Monde comme si et l'écriteau “Défense de cracher par terre et de parler breton” est une invention nationaliste ; je lui signale au passage que rattacher Cadoudal à une “pseudo-chouannerie indépendantiste” a de quoi faire rire et je l'invite à relire Bécassine : Loulotte n'est pas la fille de Madame de Grand Air.

S'il est peu élégant de sa part d'inviter le ban et l'arrière-ban de l'Institut culturel à se déchaîner contre un ouvrage qui ne visait pas à lui être agréable et de publier la lettre de Christian Guyonvarc'h qui fait déjà l'objet d'une citation à comparaître pour diffamation, je n'aurais pas exercé mon droit de réponse sans la “mise au point” de M. Per Denez. Cette “mise au point”, sur le site Internet auquel renvoie la revue, occupe une bonne dizaine de pages ; en la publiant, Gérard Prémel, qui avait donné dans le premier paragraphe de son article un résumé, somme toute, assez exact de l'affaire Luzel, savait qu'il prenait la responsabilité de publier des informations fausses.

La stratégie confusionniste pratiquée par M. Per Denez est d'une efficacité dont j'ai pu mesurer les effets : perdre le lecteur sous un monceau de faits permet de semer le doute et prêter apparence plausible à la calomnie. La vérité exigeant réparation, je me vois contrainte de répondre aux points essentiels.

1. La pétition

Indignés par le procès en diffamation qui m'était intenté par M. Denez, 250 personnes, écrivains, metteurs en scène, enseignants ou artistes, ont rédigé une pétition, protestant, entre autres, contre mon exclusion de la section littérature écrite de l'Institut culturel de Bretagne. C'est cette pétition dont Gérard Prémel pense avoir à lui seul empêché la publication au motif qu'affirmer que l'ICB m'avait “exclue de la section littérature écrite au mépris de ses statuts” aurait été mensonger, l'ICB ayant fait “preuve en l'occurrence d'une honnête capacité de fonctionnement démocratique” (je le cite).

Gérard Prémel, qui avoue avoir été membre du conseil scientifique de l'ICB au moment des dérives que j'ai dénoncées, a pourtant dû lire les statuts qui indiquent que seul le conseil d'administration est habilité à exclure un membre après l'avoir entendu. Or, dans le numéro 14, c'est M. Denez lui même, en tant que vice-président, qui se vante de cette exclusion – renouvelée une deuxième fois, en présence d'un huissier, lequel a pu constater l'“honnête capacité de fonctionnement” d'une association qui a, entre autres, subventionné la publication par M. Denez des textes de Drezen publiés sous l'Occupation dans Arvor et L'Heure bretonne, célébré Hemon, louangé Heusaff, herminisé Caouissin, et récompensé, outre divers collaborateurs des nazis, un nombre impressionnant de militants nationalistes. Interrogée par le juge au sujet de la déposition d'un militant breton faisant état d'une pétition reçue en 1994, je n'ai pu que répondre qu'à cette date il n'y avait pas de pétition.

2. L'accusation d'avoir plagié les recherches de Joseph Ollivier

Au terme d'une recherche dont Gérard Prémel veut bien écrire que son “niveau est indiscutable”, j'ai publié dix-sept volumes de textes de Luzel et soutenu une thèse avec les félicitations du jury décernées à l'unanimité ; cette thèse est publiée, elle reprend une à une les accusations de M. Denez et en démontre l'inanité 1.

Tant dans cette thèse que dans Le Monde comme si, je fournis les fac-similés qui démontrent que les copies de Joseph Ollivier comportent des fautes que l'édition Denez reproduit, car, chose incroyable, celui que Gérard Premel, qui l'a connu de près, appelle mon “vindicatif ex-directeur de recherches” ne s'est pas contenté de résilier sa direction de thèse quand il a su que j'entendais respecter l'orthographe de Luzel, il a mis en chantier une édition concurrente d'après les copies d'Ollivier.

Et il continue de m'accuser de faire ce qu'il fait, lui, à savoir éditer des classements erronés et des copies fautives. L'analyse des trois premières pages du classement des contes publié par M. Denez figure dans ma thèse et a été remise à son avocat, il le reconnaît luimême : plus de 80 erreurs, dont 5 contes oubliés, en trois pages. Mais, ça ne fait rien, il continue de mentir : “TOUS les contes de Luzel, en français et en breton, ont été retrouvés, répertoriés et classés par Joseph Ollivier”, “personne depuis, pas même Mme Morvan, n' y a ajouté un seul item”. La vérité est scientifiquement établie depuis plus de six ans et la rédaction de hopala ! diffuse une accusation de plagiat dont le directeur de la publication ne peut ignorer ce qu'elle implique.

J'invite le lecteur à comparer ce que M. Denez appelle sa “modeste” édition “non scientifique” (“modeste” et “non scientifique” mais subventionnée à hauteur de 40 % par l'Institut culturel) des camets de collectage de Luzel mis en breton unifié d'après la copie fautive d'Ollivier et l'édition authentique des carnets de Luzel par les Presses universitaires de Rennes, avec fac-similés et traduction en regard 2. M. Denez, après avoir nui par tous les moyens possibles à cette édition, feint de s'inquiéter de son succès de librairie et, ayant détourné des documents internes aux PUR, s'alarme du coût des heures de vacation payées à Marthe Vassallo pour saisir le texte : que ne cite-t-il la lettre du président de son Université lui enjoignant de mettre fin à son édition, qualifiée d'“acte malveillant à l'égard de l'université”. Quoi qu'il en soit, qu'il se rassure : les lecteurs ont su faire leur choix.

3. Les persécutions judiciaires infligées à l'infortuné M. Denez

Après avoir résilié sa direction de thèse sans concertation à six mois de la soutenance, ce qu'il nie encore bien que la chose ait été jugée 3, M. Denez m'a assignée à comparaître pour diffamation en janvier 1995. II appuyait ses accusations sur de grotesques harcèlements téléphoniques dont l'auteur a été vite identifié et a avoué les faits ; contrainte de me défendre dans le cadre de sa procédure, j'ai porté plainte pour dénonciation calomnieuse ; le tribunal a estimé qu'il avait pu se tromper de bonne foi, sa plainte ayant été, de toute façon, classée sans suite – et voilà qu'il réitère ses accusations en s'appuyant, cette fois, sur un roman policier dont je ne connais l'auteur ni d'Ève ni d'Adam...

II a publié, à titre de pièce de procès, un volume publiant les classements criblés d'erreurs de Joseph Ollivier de manière à laisser accroire que je m'étais “attribué le mérite du travail d'Ollivier” : contrainte de me défendre dans le cadre du procès qu'il m'intentait, j'ai porté plainte pour diffamation ; le référé a été refusé, les juges constatant qu'ils n'étaient pas compétents pour juger une affaire d'érudition complexe et embrouillée selon la méthode que l'on voit ici à l'œuvre ; le juge, préférant ne pas juger, a ensuite rédigé un protocole d'accord que je n'ai pu que refuser de signer, Monsieur Denez, lui, se hâtant de le faire, à deux mains plutôt qu'une ; le jugement, qui n'a jamais été signifié, le déboutant de toutes ses demandes, pourquoi aurais-je fait appel dès lors qu'entre-temps ma bonne foi avait été établie de manière éclatante par l'université ?

M. Denez a été condamné par le tribunal de grande instance de Rennes, le 6 mai 1996, non pas, comme il le prétend, parce que les “diffamations étaient pour partie prescrites et pour partie insuffisamment diffusées pour avoir un caractère public” mais parce qu'il n'y avait pas diffamation. Le jugement mentionne effectivement que mes propos “eussent été susceptibles de caractériser une diffamation”. Subjonctif hypothétique. M. Denez a pris soin de couper la fin de la phrase : mes propos “eussent été susceptibles” de “caractériser une diffamation”, à cela près que “la vivacité de ton peut s'expliquer par l'impossibilité, dans le contexte de rupture avec Pierre Denis, d'obtenir de ses pairs que s'instaure un débat au sujet de leurs différends”. Et de poursuivre : “En effet, il résulte des pièces versées au débat, notamment des comptes rendus de la section littérature écrite, que non seulement le droit d'être entendue a été dénié à Mme Morvan au nom du caractère étranger à l'ICB du débat alors qu'il était patent qu'il y avait, non seulement identité de personnes et de sujets mais aussi confusion des rôles, mais que le caractère accusateur du contenu des comptes rendus ou des courriers adressés par les responsables de l'ICB à Mme Morvan n'ont pu qu'accentuer l'état de confusion et de conflit” (TGI de Rennes, 6 mai 1996, p. l2). Sept ans après, M. Denez continue de réitérer les mêmes affirmations patelines : “Tu me reproches, cher Gérard Prémel, d'avoir politisé le conflit en le transposant à l'Institut culturel. J'ai toujours strictement refusé d'importer à l'Institut un conflit personnel et d'en débattre.” Et le cher Gérard Prémel qui sait très bien à quoi s'en tenir, publie les mensonges de M. Denez en jurant que le débat, qu'il a lancé lui-même dans la revue qu'il dirige, lui paraît soudain se situer “hors de son champ de compétences” – et, après tout, n'est-ce pas, comme “le ton est courtois”, le pharisaïsme peut être ce qu'il est.

4. Ma carrière revue selon la méthode Denez

Dans le pot pourri qui suit, je me borne à reprendre les mensonges plus flagrants.

“Première rencontre avec Mme Morvan en 1974 : elle s'inscrit en breton niveau débutants, elle veut apprendre la langue, puis m'expliquera ensuite qu'elle ne peut se présenter à l'examen : en poste au lycée de Guingamp elle n'a pu suivre les cours”. En 1974, étant à Crépy en Valois, j'aurais eu quelque peine à aller suivre des cours de breton à l'université de Rennes où je n'ai pas mis les pieds avant 1984. Je n'ai jamais enseigné au lycée de Guingamp.

“En 1984 elle vient me demander aide... pour une thèse sur Armand Robin : je réussis à résoudre son problème à Rennes 2 Haute-Bretagne.” Par quelle aberration serais-je allée trouver un professeur de breton que je ne connaissais pas pour une thèse de littérature française contemporaine, domaine qui lui était totalement étranger ? Francine Dugast, qui a dirigé ma thèse sur Robin, a déjà attesté en justice que c'était faux.

“Fin 1989, Mme Morvan vient me voir, avant même d'avoir soutenu sa thèse sur Robin, qui pose encore problèmes.” Soutenue le 30 janvier 1989, avec mention Très Honorable à l'unanimité, quels problèmes ma thèse d'État aurait-elle pu me poser ? Je n'avais jamais eu le moindre problème avec Francine Dugast qui en a également attesté en justice.

“Elle obtient à Rennes Beaulieu un nouveau poste que bientôt elle devra encore quitter. Une seule possibilité pour elle de ne pas être radiée de l’Educalion nationale obtenir un congé sans solde”. J'ai quitté mon poste de mon plein gré et ai bénéficié à ma demande d'un congé de mobilité rémunéré, congé parfaitement légal.

“Le dimanche 9 janvier (1993), Françoise (Morvan) et André (Markowicz) sont invités à mon domicile pour un thé à l'occasion du nouvel an. Mme Morvan me met alors au courant de son projet : édition des carnets, à l'identique, avec une traduction de sa main et une étude également de sa main.” Le 9 janvier 1993 était un samedi et j'étais au théâtre des Amandiers pour Désir sous les ormes , pièce d'O'Neill que j'avais traduite ; si nous avons été invités cette semaine là à prendre le thé rue Hoche chez son amie, par quel miracle aurions-nous pu parler d'une édition au sujet de laquelle la première réunion de concertation devait avoir lieu le 20 novembre 1993, soit dix mois après ? C'est à la suite de cette réunion que M. Denez, découvrant que je comptais respecter les manuscrits de Luzel, m'a convoquée un dimanche à son domicile pour m'enjoindre de récrire les carnets en orthographe unifiée et, voyant que je ne cédais pas, a mis en chantier une édition concurrente à l'aide des copies d'Ollivier.

“En juin 1997, Mme Morvan va présenter, mais pour un doctorat sur travaux en littérature française, ses diverses publications concernant Luzel”. Ma thèse sur Luzel compte 565 pages. J'y ai joint les douze volumes alors parus pour que les membres du jury puissent juger sur pièces.

“Tous ses subséquents et tenaces efforts pour obtenir la requalification de ce "doctorat sur travaux" en "doctorat d'État avec Thèse" ont échoué”. Le doctorat d'État avait été supprimé depuis des années, directeur du département de celtique, M. Denez est bien le premier à le savoir. J'ai demandé et obtenu le droit de publier ma thèse, ce qui l'a fort contrarié, et il ment donc sur ce sujet en sachant très bien de quoi il retourne.

Démonter ces mensonges déversés avec urbanité serait assurément perdre son temps si M. Denez n'était toujours délégué pour représenter la Bretagne devant les plus hautes instances : il importe que le confusionnisme qu'il pratique avec art, depuis ses débuts à Arvor sous l'Occupation, soit pris pour ce qu'il est, à savoir une méthode, mise au point avec habileté et exercée en pleine connaissance de cause.



Françoise Morvan



1. Françoise Morvan, Une expérience de collectage en Basse Bretagne : François Marie Luzel (1821 1895), Presses du Septentrion, pp. 398 534.

2. Kontadennoù ar Bobl V, éditions AI Lavant ; Contes inédits III, Presses universitaires de Rennes.

3. Le jugement du 6 mai 1996 (p. 12) établit qu'il en a “pris effectivement l'initiative sur le plan administratif sans en informer Mme Morvan au préalable”.




LE MONDE COMME JE LE MONDE COMME JE LE MONDE COMME

Droit de réponse, mise au point et courrier des lecteurs

Suite à la critique que Gérard Prémel a consacré au livre Le monde comme si – Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne, dans le n° 13 d’hopala ! Son auteure, madame Françoise Morvan nous a adressé le droit de réponse suivant :

Dans le n° 13 d’hopala !, Gérard Prémel a cru devoir se livrer à une laborieuse démolition de mon essai Le Monde comme si : neuf pages bien tassées, plus l’éditorial, et le tout en tête d’une revue qui, à l’origine, se voulait ouverte et avait même publié ma modeste contribution à l’histoire du drapeau breton... far ou flan, avec ou sans gwenn ha du ? Là, pas d’erreur, c’est pouding – pouding avec. Je ne vais pas m’attarder à reprendre dans le détail une argumentation qui ne vise qu’à noyer les faits dans un ressassement identitaire par trop connu. En revanche, certaines allégations sont trop inexactes pour que je ne rectifie pas.

Racontant dans Le Monde comme si la manière dont j’ai été exclue de la section Littérature écrite de l’Institut culturel de Bretagne, en même temps qu’André Markowicz, puis dont j’ai été assignée à comparaître par le vice-président de l’Institut culturel, et ai vu arriver en masse des attestations de militants, j’ai rapporté ce qui a été pour moi une découverte : “Sur cinquante personnes qui ont tout vu mais ne veulent se mêler de rien, soudain une personne que l’on connaît à peine propose de rappeler les faits parce qu’il n’y a pas de raison de mentir. Plutôt que la lâcheté des uns, je préfère retenir cette présence, envers et contre tout, de ceux qui ont le courage de résister, des dissidents, qui sont justes parce qu’ils pensent devoir être justes, alors qu’ils n’ont rien à attendre en échange...” De tout le paragraphe, Gérard Prémel ne retient que la première phrase : “Soudain une personne que l’on connaît à peine propose de rappeler les faits.” Et de bondir : mais c’était moi ! Le seul, l’unique, le vrai courageux, c’était moi ! Comment ose-t-elle dire qu’elle me connaissait à peine ? Elle ment, la preuve : “Nous nous connaissions suffisamment pour qu’elle prie sa mère de m’aider à titre bénévole dans une enquête sociologique que je menais alors auprès de personnes âgées de la région.” À titre bénévole ! Les enquêtes qu’il a fait faire à ma mère, elles devaient être payées rubis sur l’ongle aux vieilles dames, mais, une fois le travail fini, macache bono. Ma pauvre mère, la politesse bretonne étant, malgré tout, ce qu’elle est, a dû aller s’excuser et apporter un cadeau à chacune des enquêtées. Passons sur ce détail. Il est vrai que Gérard Prémel a eu, dans un premier temps, l’honnêteté d’attester que le conseil scientifique de l’Institut culturel de Bretagne dont il faisait partie avait refusé de m’exclure sans m’entendre, comme le faisait demander le vice-président. Mais ce grand acte de vertu a été suivi d’une non moins grande reculade ; lorsqu’un comité de soutien s’est créé pour me défendre et qu’une pétition dénonçant les pratiques de l’Institut culturel a circulé, il a vite battu en retraite, alléguant que je n’avais pas du tout été exclue de l’Institut culturel, qui lui semblait être un lieu d’échanges précieux, où il faisait bon vivre dans un air salubre. C’est d’ailleurs ce qu’il n’hésite pas à répéter, rappelant sa “satisfaction de voir l’ICB faire preuve en l’occurrence d’une honnête capacité de fonctionnement démocratique”. Trou noir, aveuglement sélectif : tout baigne.

Le même procédé est utilisé en chaque occasion : après avoir sauvé in extremis l’Institut culturel en empêchant à lui seul que la pétition ne se diffuse dans la presse nationale, Gérard se consacre à sauver les croyances et les valeurs-phares du mouvement breton. Démonstration. OUI, les enfants bretons ont bien été persécutés : “Quand je pense à nos parents, oncles et tantes, ploucs prolétaires et demi-illettrés honteux au parler si raide, dont j’ai retrouvé les traits comportementaux chez tant de personnes enquêtées dans le cadre de ma recherche...” ah, parlons-en, des personnes enquêtées dans le cadre de sa recherche... et du parler raide des illettrés ! Ça oui, il était raide, le parler des illettrés dans le bistro de Lomig Donniou !

OUI, l’écriteau “défense de cracher par terre et de parler breton” a bien été apposé dans les écoles. Fañch Broudic nous a démontré le contraire, mais lui, Gérard, il l’a vu – d’accord, l’écriteau qu’il a vu n’était justement pas cet écriteau-là, mais faisons comme si. Même phénomène que pour l’ICB : faisons comme si l’exclusion antistatutaire n’avait pas eu lieu.

OUI, Cadoudal était un grand héros, un chouan pas du tout antirépublicain, loin de là. Cadoudal ? Ai-je parlé de Cadoudal ? Non, sur les 350 pages du livre, pas une seule fois je n’ai mentionné son nom, mais, n’importe, Gérard s’enflamme pour Cadoudal et regrette même de ne pas en faire assez : “La place malheureusement me manque pour évoquer la belle figure de Cadoudal, qui à l’aristocratique exil londonien préféra mourir en combattant pour le respect des droits de son pays et de son peuple face à la tyrannie napoléonienne. Pour faire pièce aux allégations de Françoise Morvan, on trouvera dans la correspondance de Charette...” Mes allégations ? Quelles allégations ? Je n’ai rien écrit, bon, d’accord, mais ça n’empêche pas Gérard de me citer : “Dans son obsession de disqualifier tout ce qui, dans la mémoire collective des Bretons, est de nature à alimenter leur singularité culturelle, elle s’en prend à Georges Cadoudal. Ce personnage de la chouannerie, dit-elle en substance, était un antirépublicain comme n’importe quel autre chouan, un point c’est tout.” Ce n’est pas dans le texte, mais c’est dans la mémoire collective des Bretons, dans celle de Gérard, la vraie, celle qu’il faut restituer, donc, OUI, j’avoue, j’ai dû “en substance” dénigrer Cadoudal.

En vertu du “syndrome du contexte oublié”, OUI, j’ai dû être complice également du commandant Maffart, dont je ne savais rien avant que Gérard ne décèle nos liens secrets, et grenouiller dare-dare pour que l’Assemblée nationale, cinq semaines exactement après la parution du Monde comme si, annule la proposition d’amendement stipulant que “la langue de la République est le français dans le respect des langues régionales”. Et tout ça dans le but d’énoncer que la langue des parents de Gérard n’était pas respectable.

Mais, cher Gérard, si cette langue-là t’était indispensable, que ne l’apprenais-tu ? Que ne faisais-tu tes enquêtes toi-même pour la capter à la source ? Mon père, ma mère, mon pays, mon cadoudal, ma langue perdue, mon monde comme je, mon monde comme si : et derrière ça, quoi ?

Son front se plissa : je cherche.

Brefs commentaires sur ce droit de réponse

par Gérard Prémel

Quelques précisions s'imposent sur les différents points relevés par Mme Morvan dans l'article que j'ai consacré à son ouvrage (rappelons qu'elle se plaignait dans les médias hexagonaux de "la véritable omerta" dont son ouvrage faisait l'objet dans la presse régionale. À propos de Cadoudal, Françoise Morvan écrit dans son livre (p 244) :“...Et c'est ce délire ethniciste à relents mystiques qui a fourni ses arguments au mouvement breton de gauche : la charge contre la France coloniale reprenant la brochure de l'UDB Bretagne : colonie [...] déroulant chromo après chromo le long martyrologe de la Bretagne, tiré du Barzaz Breiz : Duguesclin le traître, Anne de Bretagne mariée de force, la chouannerie indépendantiste, [souligné par nous, ndlr]”. Le Robert des noms propres donne : “Cadoudal (Georges) – Conspirateur français (Kerléano [...] 1771- Paris 1804). Il participa à la guerre de Vendée et fut un des chefs chouans. Cf. chouannerie...” Mais c'est vrai que Mme Morvan ne cite pas nommément Cadoudal. Tiens, pourquoi, au fait ? À propos de l'écriteau d'interdit, j'ai écrit dans mon article où et comment j'avais vu la plaque émaillée portant l'inscription “défense de parler breton dans l'enceinte de l'école”. Rien d'autre. Un lecteur d'hopala nous signale avoir vu le même écriteau à peu près à la même époque, dans le même lieu. À propos de l'enquête incriminée : son ampleur – 110 entretiens à mener à travers la moitié de la Bretagne – imposait le recours à des enquêteurs, pratique tout à fait normale et courante dans le champ des sciences humaines, comme chacun sait. Cinq enquêteurs ont donc participé à l'enquête pour une cinquantaine d'entretiens, suivant une convention conforme au droit du travail, et ont été, comme tous ceux qui m'ont assisté à un moment ou un autre, “payés rubis sur l'ongle”. Quand Mme Morvan m'a proposé la contribution bénévole de sa mère pour passer quelques entretiens dans le pays de Rostrenen, je lui en ai été d'autant plus reconnaissant que ce territoire n'avait pas été enquêté, et que le budget de la recherche tendait vers zéro. La forme associative de ma structure de recherche permettait un tel bénévolat, et ayant moi-même – comme nombre de collègues –souvent participé bénévolement à des travaux scientifiques ou à des enquêtes associatives, j'ai accepté avec joie cette proposition. C'est ainsi que je suis devenu l'abominable Macache Bono, exploiteur de vieilles dames. Le grand intérêt de cette histoire est de montrer – en direct en quelque sorte – le fonctionnement de la méthode Morvan (à partir de laquelle se trouve réécrite l'histoire – et l'Histoire. Dans le monde comme Je, la réalité n'a pas d'autre forme d'existence que celle que Je lui donne. Nul besoin d'être laborieux

L'un des charmes discrets du livre de Françoise Morvan est sa référence fréquente à l'univers de Bécassine. Et de fait, il y a une parenté entre la naïveté rusée de la petite bonne bigoudène et la fausse naïveté assez décapante, il faut bien le reconnaître, de l'auteure. Par ailleurs, la fille de l'auteure, affectueusement surnommée par elle Loulotte, intervient souvent dans ce livre, de façon parfois cocasse, avec cette autre naïveté qui est celle de l'enfance. Les deux naïvetés conjointes, bien entendu, servent de révélateur dans le dévoilement des turpitudes nauséeuses de la bretonnitude. On sait que, dans les albums de Bécassine, Loulotte est le prénom de la fille de Mme de Grand-Air, la patronne de Bécassine. On se dit alors que ce livre est le lieu d'un exploit littéraire tout à fait épatant : l'union, dans une seule et même personne, l'auteure, de Bécassine et de Mme de Grand-Air , autrement dit la synthèse de la servante et de la maîtresse. De là vient sans doute cette façon très efficace de prendre les gens de haut avec familiarité : “...si cette langue-là t'était si indispensable, que ne l'apprenais-tu ?” Bonne Question. Tentons donc d’y répondre :

An Itron Morvan de Grand-Air

Mersi bras evit an ali mat ’peus roet din. Ne'm eus ket gortozet an ali-se avat. O teskiñ yezh ma zud-kozh emaon bremañ. N'eo ket aes, met kenderc'hel a ran.

Ha perak ’ta ne rofes ket-te an tu d'ar re all d'ober o mad eus da ouiziegezh war ar brezhoneg ? Laouen e vefen da heuliañ ur gentel ganit.

* * *

Par ailleurs, suite à ce même article, M. Per Denez nous fait parvenir le 10 05 03 la mise au point suivante, adressée à Gérard Prémel :

[...] J'apprécie ton long article sur le livre de Françoise Morvan, que je n'ai pas lu, et admire ton intrépidité. Tu exposes, en seconde page [...], l'histoire de cette pétition que tu as refusé de signer : tu seras intéressé de savoir que, le 20 janvier 1997, lors d'une confrontation à Quimper, Mme Morvan, interrogée par la juge d'instruction à propos de cette pétition présentée par mon avocat, affirma [...] “sous la foi du serment”, qu'il “n'y a jamais eu de pétition” : “lecture faite [Mme Morvan] persiste et signe” conclut le document. Par contre, ta première page, “De l'opposition légitime”, me concerne d'un bout à l'autre, et il apparaît que tu n'as jamais douté sur ce plan de la parole de Mme Morvan. Il me semble donc utile de te faire parvenir quelques informations que je te demande de bien vouloir partager avec tes lecteurs.

Tu écris que “Françoise Morvan s'est trouvée confrontée, alors que l'édition de son travail était évoquée avec son directeur de recherche, à la volonté de celui-ci de transcrire en “breton unifié” tous les contes de Luzel [...]”. De son vivant, Luzel n'a publié en breton que 11 (onze) contes, presque tous mineurs. Pour la grande majorité des contes, publiés par lui en français, il n'a laissé ni textes ni notes en breton. Les seuls contes en breton préparés par Luzel pour l'édition, mais non publiés, se trouvent dans les deux beaux manuscrits 14 et 15 de la bibliothèque municipale de Quimper. La bienveillance du conservateur me permet d'en obtenir une copie intégrale en 1964. Fin 1969 – je suis arrivé à l'université de Haute-Bretagne en janvier –, Yann-Erwan Abalan, étudiant en section de celtique, en commence l'édition dans la revue Al Liamm. Martial Ménard reprend ensuite le travail à la base et, aux éditions Al Liamm, sous le titre Kontadennoù ar Bobl, publie l'intégralité des textes de Quimper : tome I, 1984, 299 p. ; tome II, 1985, 256 p. ; tome III, 1988, 222 p. Puis, dans un tome IV, 1989, 112 p., Iwan Kadored rassemble les onze contes publiés par Luzel. En 1995, époque à laquelle tu fais référence, la totalité des contes rédigés en breton par Luzel était disponible en librairie depuis une dizaine d'années. Je n'avais donc rien à dire ni à demander à Mme Morvan à leur sujet.

Je reprends ton texte : “...tous les contes de Luzel qu'elle avait répertoriés et classés”. TOUS les contes de Luzel, en français et en breton, ont été retrouvés, répertoriés et classés par Joseph Ollivier, de 1922 à 1934, dates approximatives : 413 (quatre cent treize) contes, rassemblés après dépouillement de 31 collections de journaux, revues et almanachs, de publications et d'archives diverses. De ces contes, Joseph Ollivier a fait un quadruple classement : par ordre alphabétique, par année de collecte, par conteur et par lieu de collecte. Personne depuis, pas même Mme Morvan, n'y a ajouté un seul item. Le fonds Ollivier, déposé à la B. M. de Rennes, est bien connu : le chanoine Batany, ami d'Ollivier, le mentionne dans sa thèse sur Luzel (1941). Daniel Bernard en publie l'inventaire en 1957 dans le n° 64 des Annales de Bretagne. Ce fonds, de “notoriété publique” parmi les chercheurs et étudiants en littérature bretonne, est important. Joseph Ollivier a recopié la totalité des écrits de Luzel non disponibles en librairie dans les années 1930 ainsi qu'une multitude de documents : par exemple ses “Rapports de mission”, son dossier personnel au ministère de l'Éducation, ses manuscrits, de nombreuses correspondances retrouvées par lui, etc., au total plus de 9 000 (neuf mille) pages. L'intégralité de ce dossier est consultable sur microfilms, ms. 945-966, et l'inventaire des contes sur le microfilm ms. 949-950, folios 18-133. Tu peux aussi prendre connaissance de l'intégralité du classement Ollivier, orthographiquement identique à son texte, dans mon livre : Joseph Ollivier, Les Contes de Luzel, préface de Per Denez, suivie d'une postface sur “Contes Bretons”, PUR-Terre de Brume, Hor Yezh, 1995, 293 p. Il est disponible en librairie [...]. Il en vaut la peine : deux procès, l'un “en référé” pour une interdiction avec astreinte de 500 F. par exemplaire présenté en librairie ou en bibliothèque, le second “au fond”. Dans ces deux procès, Mme Morvan a été déboutée : par ordonnance du 6 décembre 1995, pour le référé, et par jugement du 5 octobre 1998, pour le procès au fond, après que Mme Morvan eut refusé une transaction rédigée par le juge. Il y eut donc, à la suite de ce refus, un procès “au fond” et Mme Morvan le perdit. J'avais souligné, aux pages 288 et seq., que Mme Morvan s'était attribué le mérite du travail d'Ollivier. Mme Morvan n'a pas fait appel.

Joseph Ollivier ne se contente pas de recopier, il publie : une première selection de contes Kontadennou ar Bobl e Breiz-Izel, chez Le Goaziou, Kemper, 1939, XXIV-156 p. ; un choix de poèmes – suivi d'un inventaire des poésies de Luzel – Ma c'horn-bro, éd. Le Goaziou, impr. Prud'homme, Saint-Brieuc, 1943, IV-180 p. La maladie l'empêche de continuer ses publications. Dans ces deux livres, et dans son inventaire, Joseph Ollivier utilise l'orthographe en usage courant à son époque, comme le fait Luzel pour les textes anciens qu'il emprunte. Par contre, ses copies de Luzel sont scrupuleusement fidèles : même les ratures y sont soigneusement reproduites.

Tu écris encore : “La langue bretonne parlée dans le Trégor au 19° siècle [...] était proscrite.” Proscrire la langue populaire ? Vois donc mes dictionnaires du breton parlé à Douarnenez, ma thèse sur ce parler, que j'ai pratiqué et que j'apprécie, les multiples travaux d’étudiants que j'ai publiés ! Et même ma préface au dictionnaire de René Pichavant, Le Douarneniste comme on cause, parler (français avec mots et accents bretons) en voie d'extinction. En fait, un très intéressant problème se pose à propos de cette “langue parlée dans le Trégor”. Le breton de Luzel, malgré l'emploi de gante et non de ganto, etc., n'est pas du trégorrois : nulle part ne paraît cette conjugaison du verbe “avoir” qui le caractérise (cf. grammaire Hingant, 1868). Deux hypothèses alors s'imposent : ou bien Luzel n'écrivait pas ce qu'il entendait : à ce propos Mme Morvan voit en lui le “fondateur de la prose bretonne”. Ou bien il existait une forme “littéraire” de la langue parlée. Je penche, conforté par l'étude des gwerzioù, pour cette seconde hypothèse.

Tu avances à mon encontre l'improbable exemple du “directeur de thèse dix-septiémiste imposant à ses doctorants la transcription en français actuel (“unifié”) de l'œuvre étudiée aux fins de publication scientifique”. Je regrette profondément que tu puisses m'attribuer pareille loufoquerie. Tout d'abord, Mme Morvan elle-même a écrit au tribunal, comme elle me l'avait écrit, que cette édition, qui provoqua notre rupture, n'avait rien à voir avec sa thèse. Ensuite Luzel (1821-1895) n'est pas du 17e mais du 19e, comme Flaubert (1821-1880) ou Paul Féval (1817-1887), et qui imaginerait la transcription de ces deux auteurs en un hypothétique “français unifié” ? Il reste que le français, avec son Académie et son statut constitutif de l'État, possède une orthographe fixée depuis belle lurette alors qu'en breton l'orthographe a été en constante évolution. Enfin, un rapide coup d'œil à la revue linguistique – “scientifique” ! – Hor Yezh, tirage 300 ex. , que j'ai dirigée jusqu'au n° 200, t'aurait montré que – pour me limiter à deux exemples – lorsque Patrick Le Besko m'envoie une copie du manuscrit de Bilbao et Yann-Vark Ar C'hok une transcription de Allonzor et Timolgina, je publie fidèlement ce qui me parvient. Dois-je mentionner ma publication de l'autobiographie de Guilloux en vannetais traditionnel, Hur bara pamdiek, inscrite au programme du CAPES ? Je pourrais aligner les titres à la douzaine. Mais pour une édition – non scientifique – des beaux textes de Luzel, pensant aux jeunes qui font du breton la langue de leur vie, je suis vingt-et-uniémiste.

Enfin, au sujet du thème de sa recherche, les choses ne sont pas aussi simples que tu les présentes! Première rencontre avec Mme Morvan en 1974 : elle s'inscrit en breton niveau débutants, elle veut apprendre la langue, puis m'expliquera ensuite qu'elle ne peut se présenter à l'examen : en poste au Lycée de Guingamp elle n'a pu suivre les cours. En 1984 elle vient me demander aide : Michel Quesnel, Président de l'Université de Brest, avec lequel elle était inscrite depuis 1975 pour une thèse sur Armand Robin, lui a renvoyé ses papiers en la priant de se trouver un autre directeur (attestations de Michel Quesnel pour le Tribunal!). Je réussis à résoudre son problème à Rennes 2 Haute-Bretagne. Une parenthèse pour comprendre la suite : agrégée de l'Université, Mme Morvan est titulaire dans le secondaire d'un poste qu'elle doit obligatoirement occuper. Or elle va cesser d'enseigner à Guingamp. Elle obtient alors au centre national d'enseignement à distance de Rennes-Beaulieu un nouveau poste que bientôt elle devra encore quitter. Une seule possibilité pour elle de ne pas être radiée de l'Education Nationale : obtenir un congé sans solde, renouvelé annuellement, pour préparation de thèse. Délai maximum alors autorisé : trois ans.

Fin 1989, Mme. Morvan vient me voir, avant même d'avoir soutenu sa thèse sur Robin, qui pose encore problèmes. Et je me retrouve prendre le relais pour une nouvelle thèse : Le folklorisme en Bretagne : littérature et illustration. Sans solde, Mme Morvan fait des traductions, qu'elle me donne à lire : Synge, puis O'Neill. Je tente de l’intéresser à des auteurs qui n'aient pas été déjà maintes fois traduits et portés à la scène : cela ne lui convient pas. Je suggère deux corrections pour le “Playboy“ et réalise vite qu'il vaut mieux être de son avis. En 1992 elle a épuisé ses trois années statutaires pour préparation de thèse. Je lui dis que, pour une nouvelle année en dérogation, il me faut un sujet clair et précis qu'elle travaillera et lui suggère d'aller à la B.M. (de Rennes) voir le fonds Luzel. Elle y découvre le travail d'Ollivier et revient enchantée : “C'est merveilleux, me dit-elle, tout le travail est fait“ (Il est évident que ces paroles se sont gravées dans ma mémoire!) J'en fus heureux pour elle. Voilà à quel moment, cher Gérard Prémel, Mme Morvan choisit enfin un thème luzélien : F.M. Luzel : Missions en Basse-Bretagne et Journal de Route. Une seconde année en dérogation : elle forme alors, au delà de sa thèse, le projet d'une édition en 24 (vingt-quatre) volumes qui mobiliserait les éditeurs bretons. Les premiers choisis sont mes amis Desbordes, responsables de Mouladurioù Hor Yezh, pour une publication à l'identique des trois Carnets de Collectage : elle les assure qu'elle obtiendra sans peine l'accord de “son professeur chéri“ (sic!) Je n'assistais pas à la réunion! - Les “carnets de collectage“ contiennent les notes plus ou moins succintes prises par Luzel à l'écoute des conteurs, notes à partir desquelles il rédigera ses textes, soit en breton, soit en français. Ils établissent combien Luzel est alors loin de ses affirmations premières : qu'il transcrivait avec exactitude ce qu'il entendait.

Le dimanche 9 janvier (1993), Françoise (Morvan) et André (Markowicz) sont invités à mon domicile pour un thé à l'occasion du nouvel an. Mme Morvan me met alors au courant de son projet : édition des carnets, à l'identique, avec une traduction de sa main et une étude également de sa main. Mes amis Desbordes, il faut le savoir, assurent, bénévolement, tout le travail nécessaire au fonctionnement de Mouladurioù Hor Yezh. Ils publient, en breton, des ouvrages “littéraires“ pour le public bretonnant. Investissement maximum par ouvrage : 20.000 à 30.000 francs. Ils équilibrent leur budget, bien qu'avec difficulté. Le projet de Mme Morvan, au succès aléatoire et nécessitant une mise de fonds quatre à cinq fois plus grande, signifiait la faillite des Mouladurioù, qui tenaient une place non négligeable dans l'expression littéraire en langue bretonne. D'autre part, plus personnellement, j'imaginais assez le travail et la tension que signifierait pour moi le suivi, surtout, de la traduction. Je dis donc à Mme Morvan que je ne pouvais recommander l'édition de son ouvrage aux Desbordes. Les avatars de l'édition de cet ouvrage aux Presses Universitaires de Rennes-Terre de Brume me montrèrent combien j'avais eu raison : les PUR durent recruter une étudiante en licence (une quarantaine de vacations) pour une aide indispensable à la réalisation du projet ; l'expert choisi par le comité de lecture remit un rapport totalement négatif ; il fallut une nouvelle série de vacations et il n'y eût pas de second rapport d’expert. L'ouvrage, sorti en belle édition en 1996, fait 463 pages : seul un éditeur assuré de ses finances quelle que fût la vente, pouvait se le permettre : je me demande d'ailleurs quel en fut le bilan. Quant aux éditions Al Liamm, complétant leur collection, elles font paraître en tome V (1994), le texte des carnets : modeste édition – non scientifique! – , sans notes ni traduction, de 185 pages.

Pour revenir à ce dimanche après-midi, à la suite de mon refus le ton monta : puisqu'il en était ainsi, me dit Mme Morvan, elle s'en irait chercher un autre directeur de thèse. Il n'en manquait pas à Paris. Elle me l'écrivit et je lui en donnai acte. J'attendais de connaître le nom de mon successeur. Ce qui me venait de l'université – j'y allais moins, j'étais alors en retraite – ce n'était pas un nom mais des échos désagréables de propos que l'on peut facilement imaginer. J'informai donc l'université que, mon étudiante ne voulant plus de moi, je lui rendais sa liberté. Je l'écrivis à “Ma chère Françoise“, expliquant comment je m'étais assuré qu'elle n'ait de problèmes ni à l'université ni à l'Institut culturel et lui souhaitant Bonne Chance. A partir de ce jour j'étais devenu, et je reste, l'homme à abattre.

Il faut aller jusqu'à la conclusion de cette histoire de thèse. En septembre 1994 , faisant paraître aux Presses Universitaires de Rennes-Terre de Brume, le Journal et Lettres de Missions, qui faisaient précisément le sujet de sa thèse, Mme Morvan se mettait statutairement dans l'impossibilté de venir en soutenance sur ce thème : je dois d'ailleurs dire que cet ouvrage n'aurait pu être accepté en l'état par un jury. Il en était donc fini de la thèse. En juin 1997, Mme Morvan va présenter, mais pour un doctorat sur travaux en littérature française, ses diverses publications concernant Luzel. Contrairement à l'habitude, elle remet au jury un très long document d'accompagnement : les pages 251 à 503 de ce document sont adressées au tribunal! Tous ses subséquents et tenaces efforts pour obtenir la requalification de ce “doctorat sur travaux“ en “Doctorat d'État avec Thèse" ont échoué.

Tu me reproches, cher Gérard Prémel, d'avoir politisé le conflit en le transposant à l'Institut culturel. J'ai toujours strictement refusé d'importer à l'Institut un conflit personnel et d'en débattre. Mme Morvan et M. Markowicz ont été exclus, par vote à bulletins secrets, de la section littérature écrite parce qu'ils en rendaient le fonctionnement impossible. L'exclusion a été confirmée, si l'on peut dire, par une section littérature écrite largement renouvelée, à Châteaulin (2001), lorsque l'accès leur a été refusé à une réunion de section à laquelle, étant exclus, ils n'avaient pas été invités : décision prise par vote à mains levées en présence de l'huissier de justice qu'ils avaient fait venir. Le C.S.A. de l'Institut a été informé de la décision de la section littérature écrite. Tu reconnais que le fonctionnement du C.S.A. a été démocratique, qu'il n'y a pas eu d'exclusion ni même de proposition d'exclusion. Mme Morvan ne cesse d'affirmer qu'elle a été exclue de l'Institut : or elle a continué à verser sa cotisation, au tarif couple, avec celle de M. Markowicz.

Tu mentionnes “mon“ procès avec Mme Morvan. C'est un pluriel qui s'imposait. Le premier procès est de mon fait : pour diffamation. Je l'ai perdu. Le tribunal estima en effet que les diffamations étaient pour partie prescrites et pour partie insuffisamment diffusées pour avoir un caractère public. Le jugement du 6 mai 1996 précise cependant “qu'il est évident que Madame Morvan a manqué de prudence au point que ces propos eussent été susceptibles de caractériser une diffamation“. Ensuite il y a eu les deux procès contre mon livre sur Joseph Ollivier (vraiment à lire!!): Mme Morvan les a perdus tous les deux. J'avais également porté plainte contre Mme Morvan pour coups de téléphone anonymes. Classement sans suite. Mme Morvan porte alors plainte contre moi “pour dénonciation calomnieuse“. J'ai comparu pour cela à plusieurs reprises, par renouvellement des procédures durant cinq années, devant la juge d'instruction de Quimper qui rendit une ordonnance de non-lieu sur avis conforme du procureur. Il y a encore appel et je me retrouve devant le tribunal correctionnel de Quimper : le procureur demande ma relaxe, le tribunal le suit et déboute Mme Morvan (9 décembre 1999). Nouvel appel et nouveau procès, à Rennes cette fois-ci, devant la cour d'appel : procès physiquement très pénible, je n'avais jamais été aussi violemment insulté que par ce procureur, “homme cynique“,“pacha“ maltraitant une pauvre étudiante ! Les juges confirment le jugement de Quimper, c'est-à-dire que Mme Morvan perd encore (15 février 2001). Il ne restait plus que la cour de cassation. Mme Morvan arrête : quatre procès engagés contre moi, quatre procès perdus. Elle a délaissé la voie judiciaire. Il lui reste la parole et l'écrit : elle en use tant qu'elle peut ;

Du jour même où j'ai cessé de lui être utile, Mme Morvan a découvert la malfaisance du mouvement breton. Elle ne s'en était pas aperçue auparavant : et pourtant, j'avais eu bien des conversations avec elle et M. Markowicz à propos du mouvement et de nombreux militants, Yann Sohier, Debauvais, Morvan Lebesque et, à l'évidence, Roparz Hemon. Après m'avoir vainement demandé de publier une collection de mes poèmes (!) dont il aurait fait la traduction, à partir d'un mot-à-mot, comme c'était leur habitude, M. Markowicz s'assura de mon accord et de mon aide pour une édition des poèmes de Roparz Hemon avec traduction signée de lui. Je lui remis, dans son appartement de la rue Pont-aux-Foulons, une traduction du premier grand poème “Pirc'hirin ar Mor“ et j'admirai avec quelle rapidité et quelle dextérité mon modeste mot-à-mot se transformait en un texte de qualité – que je ne vis jamais. Une demande de subvention pour les poèmes de Roparz Hemon avec traduction Denez-Markowicz fut sollicitée (septembre 1993) de l'Institut culturel de Bretagne qui ne l'accorda pas. La demande ne fut pas renouvelée. Je mentionnai aussi Armand Robin – il avait fait quelques traductions du breton de Maodez Glanndour – qui, pendant la guerre, fut rétribué par l'antenne parisienne du Gouvernement de Vichy, et par d'autres, et se retrouva sur la liste noire, dressée à Alger, des écrivains à “épurer“ : et cela leur semblait peccadille.

Une dernière petite chose : si tu peux le parcourir sans l'acheter, jette un coup d'oeil sur le roman Les Chênes Rouges de José-Louis Bocquet, 2002. Des personnages tracés d'une plume caricaturale. L'un d'eux m'a particulièrement intéressé : Roparz Montand, Roparz, à cause de Hemon, et Montand parce qu'on lui trouvait, à ce Roparz... la voix d'Yves Montand ! Il y a des histoires de thèse et de “langue pure“, d'une publication en breton unifié, annotée par le dit Montand, des contes d'un certain Julien-Marie Mazel, ce qui lui vaut, à ce Montand, la vindicte d'une certaine Sonia. L'auteur-narrateur retrouve le carnet intime de celle-ci après sa mort, dramatique, autre fantasme. Il semble bien que l'auteur se soit réellement trouvé en possession d'un texte émanant de Sonia, au style si différent du sien. Sonia s'était juré, raconte-t-elle, de ne plus adresser la parole à ce persécuteur de Roparz, mais un jour, n'y tenant plus, elle l'appelle au téléphone et lui dit un seul mot : “salaud“.

Curieuse histoire.

Le mot que j'avais moi entendu au téléphone était “nazi“.

Depuis cette première fois il m'a été servi à toutes les sauces : toujours piquantes. Je m'en étonne encore parfois un peu. Vraiment, je n'aurais jamais pensé avoir folkloriquement éveillé pareille passion!

Nous prenons d'autant plus acte de cette mise au point que le ton en est courtois. Et nous nous garderons cette fois de tout commentaire, le sujet du débat - qui, sur le fond (méthodologie du collectage, méthodologie de sa mise en valeur) présente bien des aspects qui mériteraient d'être développé plus avant et dans des conditions plus sereines - se situe par trop hors de notre champ de compétence. Quant à la relation entre le directeur de recherche et sa doctorante, dans la mesure où il s'agit d'une affaire privée devenue – ô combien – publique, nous ne pouvons nous empêcher de regretter que le conflit n'ait pas pris dès son origine une autre tournure.

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En dehors de ce droit de réponse et de cette mise au point, l'article consacré au livre de F. Morvan nous a valu un abondant courrier. Nous en avons publié un échantillon dans les pages du n° 14 de hopala ! C'est avec plaisir que nous intégrerons dans cette rubrique de notre site toute contribution qui pourrait faire avancer le débat sur le fond.

Dans cette attente le visiteur de notre site trouvera deux des lettres parues dans hopala : celle de l'historien Jean-Jacques Monnier ; et celle du porte-parole de l'UDB de Lorient.

Dans son courrier du 10 avril 2003, l'historien Jean-Jacques Monnier nous manifeste son intérêt et son accord. Il nous dit par ailleurs :

“Le 5 avril dernier, j'ai participé à Plouézec, avec Françoise Morvan, à une table ronde sur l'extrême droite, à la demande de la Ligue des droits de l'homme et de Vigilance 22. Il n'y a pas eu de possibilité de dialogue, mais de sa part, une série d'affirmations péremptoires et souvent erronées. Une bonne partie du public, éloigné des questions bretonnes, était incapable de faire le tri et adhérait peu ou prou à l'anathème. Quelques exemples : le Barzaz Breiz : un faux total. La thèse de Donatien Laurent, (directeur de recherches au CNRS) démontrant le contraire : indéfendable. Le colloque de Brest sur la Seconde Guerre mondiale : un montage du mouvement breton et de Cozan. Morvan Lebesque : un journaliste raciste (alors que son évolution – dont il s'est lui-même expliqué – l'a fait devenir un journaliste anti-raciste). Joseph Martray : un collabo qui n'a pas changé (alors que son action pour la résistance est avérée). Etc.

Bref toute une dialectique de la victimisation et de l'accusation qui marche à merveille. Il est difficile d'y répondre, car faire de l'histoire, c'est être nuancé et précis, donc long. La complexité, la notion de temps, la quête de la vérité, ce n'est pas médiatique. Du coup, les attaques primaires dans les médias restent sans réponse quant au fond.”

M. Christian Guyonvarc’h, porte-parole de l’Union démocratique bretonne à Lorient, nous communique le 15.06.03 (et nous autorise à reproduire les passages significatifs de) la lettre ouverte qu'il a adressée le 9 juin 2003 aux délégués départementaux de l'Éducation nationale (DDEN-56), à la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE-56), à la Ligue de l'enseignement 56, ainsi qu'à Attac 56, au sujet de leur appel à assister à la conférence-débat qu’ils organisent à Lorient, avec Mme Françoise Morvan et la “Libre Pensée”.

Lettre de M. Christian Guyonvarc’h

[...] L'Union démocratique bretonne, respectueuse de la liberté d'expression, souhaite [...] que la conférence que Madame Françoise Morvan donnera le 12 juin à Lorient, à votre invitation, se déroule dans un climat serein. Pour autant, les conditions de sa venue à Lorient ne peuvent qu'interpeller les personnes qui considèrent que l'indépendance des syndicats vis-à-vis des partis politiques est un principe fondamental en démocratie.

[...en ce qui concerne] la conférence du 12 juin : “L'Europe des régions entraîne-t-elle la dislocation des États ? Quelles vont être les compétences des États et celles des collectivités locales et territoriales ? Quelles conséquences sur le transfert du personnel de la fonction publique d'État ? Y aura-t-il remise en cause du code du travail et des conventions collectives nationales ?” [...] Madame Françoise Morvan est-elle politologue, économiste, sociologue ? Est-elle une spécialiste des institutions européennes, du développement régional ou du droit du travail ? Comme des centaines de milliers de Français Mme Françoise Morvan est titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur, en l'occurrence dans la filière littéraire. Le curriculum vitae officiel de Mme Françoise Morvan, largement diffusé dans les médias, la présente comme une universitaire [...] titre [qui] s'obtient en enseignant dans une université. [...] Dans quelle université Mme Françoise Morvan dispense ou a dispensé ses cours ?

Madame Françoise Morvan (dans son livre Le monde comme si – nationalisme et dérive identitaire en Bretagne) procède par amalgames, y compris les plus odieux. Ainsi quand elle rapproche les noms d’Alan Stivell et de Glenmor de ceux de Bretons qui ont notoirement collaboré avec le régime nazi au prétexte que Stivell et Glenmor ont choisi des noms de scène à consonance celtique : “[...] bondissant d'un coup hors de leurs noms dans une Celtie flamboyante, certains laissent leur vieille dépouille, et Alain Cochevelou devient Alan Stivell, Émile Le Scanff, Glenmor " (page 50). Stivell et Glenmor plus “extrémistes” que Mordrel et Lainé ?... Il fallait oser ! Le procédé est tout simplement odieux et discrédite [...] son auteure [...], si vous possédez des CD de Stivell ou de Glenmor dans votre discothèque, vous êtes, aux yeux de Mme Françoise Morvan, une ou un quasi-néo-nazi. À quand des appels à l'autodafé ? Par ailleurs, les violentes diatribes de Madame Françoise Morvan prouvent que ses compétences en langue bretonne sont [...] limitées. En effet, Cochevelou vient de “Kozh Stivelloù” (“vieilles sources jaillissantes”). Alan Stivell n'a donc fait que puiser dans son patronyme pour construire son nom de scène. On est loin des “délires communautaristes” [...]. Surtout, Madame Françoise Morvan s'aventure là [...] sur les traces d'un certain Jean-Marie Le Pen qui reprocha naguère au chanteur Patrick Bruel de ne pas assumer son patronyme, Benguigui...

Il est clair que ce n'est pas avec ce qu'il est convenu d'appeler le “mouvement breton” que Madame Françoise Morvan a souhaité régler ses comptes, c'est avec tout ce qui se rapporte à l'identité de la Bretagne. Ce message-là, au moins, est passé, au-delà peut-être de ses espérances.

Pour ce qui concerne l’Union démocratique bretonne, nous préférons concentrer notre vigilance sur les agissements d'une extrême droite bien réelle, qui se revendique aussi bien de la France que de la Bretagne. Le groupe Adsav (dont les autorités officielles françaises tolèrent les affiches et les bombages racistes [...], et le Mouvement régionaliste de Bretagne sont des dangers bien réels pour la démocratie, au même titre que le Front national ou le MNR qui ont d'ailleurs de nombreux liens [...] avec l'extrême droite bretonne (le président du MRB est un conseiller régional de la Région Centre qui porta successivement les couleurs du FN et du MNR). Mais ces dangers bien réels d'aujourd'hui, Madame Françoise Morvan n'en a cure. Elle préfère développer le fantasme d'une Bretagne tout entière rongée par le communautarisme.

En conclusion, vous voudrez bien m'excuser de personnaliser quelque peu [...] car le livre de Madame Françoise Morvan m'a valu [...] plusieurs dizaines d'interpellations désagréables. Non, je ne suis pas le “Christian Guyonvarc'h” que Madame Françoise Morvan remercie chaleureusement page 147. Mon homonyme, auquel Madame Françoise Morvan tient à témoigner sa gratitude, de quarante ans mon aîné, a bien connu les événements dramatiques de la Seconde Guerre mondiale pour y avoir pris une part active. Je ne doute pas que votre curiosité vous conduira à vous renseigner sur le camp qu'il choisit alors et sur l'uniforme qu'il porta. Vous découvrirez que Madame Françoise Morvan a de bien curieux amis. Au jeu malsain de l'amalgame, telle est prise qui croyait prendre.

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